samedi 25 septembre 2010

Le centre-gauche, une illusion pour amnésique

Ce billet se penche surtout sur des questions de posture médiatique, j'avais déjà fait état de mon sentiment sur le centre gauche ici.


La longue tribune de Jean-Luc Bennahmias dans Marianne, il y a quelque semaines, m'avait hérissé par sa capacité à ressasser de vieilles antiennes, sur le caractère profondément innovant de Mouvement Démocrate et son irréductible altérité avec un parti centriste. Si on se montre un peu plus attentif à la communication de la clique Écologie et Démocratie, on se rend compte qu'il y a une stratégie à l'œuvre posant comme une évidence le destin au centre-gauche du parti de François Bayrou.

Durant l'été, l'idée d'un groupe villepiniste autonome fait son chemin. Pour atteindre le seuil de quinze députés, les observateurs ont tôt fait d'additionner les républicains solidaires et les trois démocrates. Réaction de notre euro-député : cela manque de personnalités de centre-gauche (tout en se gardant bien d'expliquer qui sont ces fameux députés).

L'idée d'une refondation de la famille centriste revient à plusieurs reprises dans les médias (gloire soit rendue à Jean Arthuis pour avoir mis cette perspective sur la table depuis près de deux ans). Dans sa tribune du 13 septembre, Jean-Luc Bennahmias, qui parvient à défendre tout et son contraire en deux pages (j'y reviendrai) balaie cette option d'un revers de main :

L'Union des centristes, celle des écologistes comme autrefois des trotskistes [notez la qualité de la comparaison], sont très "tendance". Certes, réunir le plus grand nombre de personnes de sa famille est en soi légitime. Il reste qu'unir les démocrates du MoDem et les centristes qui pensent que, en dehors de M. Sarkozy, il n'est point de salut, relèverait du même exploit que de rassembler les écologistes adeptes du développement durable et les fans de la décroissance.

Une simple lubie de nostalgiques, une mode passagère... ce qu'il faut vraiment à la France réside dans un rassemblement des « progressistes ». Conclusion bizarre que de prendre un terme de gauche quand on dit vouloir réunir au-delà des clivages partisans.

Jean Arthuis fait partie des invités de l'Université de rentrée du MoDem. Réaction de Christophe Madrolle (l'éminence grise de Bennahmias) : « Est-ce qu'Arthuis serait prêt à participer à un rassemblement de centre gauche ? » Comme si cette orientation (toute vague soit elle) était officiellement la ligne du Mouvement (sauf erreur de ma part, Bayrou a parlé de centre progressiste, de centre tout court, de projet démocrate mais jamais de centre-gauche).

Cette semaine, nouvelle volée des compères verdâtres. Il faut dire qu'en plus du président de l'Alliance centriste, l'UR démocrate accueille également Jean-François Mattéi, Jean-Claude Casanova ou Luc Ferry ce qui apporte une forte coloration UDF à l'ensemble. On est assez loin du rassemblement-salmigondis rose-vert-orange dont il ne reste plus qu'un site internet à l'abandon.

Certes, François Bayrou et une partie des cadres du Modem sont issus de feu l'UDF. Mais le Modem n'est pas destiné à s'inscrire dans le centrisme au sens traditionnel du terme. En tant qu'ancien Vert, j'en suis la preuve vivante.

Mauvaise foi et amnésie en très forte concentration. L'idée que l'UDF est morte constitue une vieille rengaine pour l'eurodéputé ex-verts. Cela fait à peu près trois ans qu'il nous la sert. Elle lui a permis de prendre ses aises en région PACA et de régner avec ses sbires sur un tas de cendres, pardon, sur le MoDem local. Il me semble pourtant que l'UDF existe toujours puisque son comité de sauvegarde (j'ignore l'appellation exacte) devrait se réunir dans les prochains mois, preuve qu'elle ne s'est pas dissoute. Elle a seulement adhéré pour trois ans au MoDem lors du congrès de Villepinte en décembre 2007. Il n'est d'ailleurs pas évident que la ligne Bayrou soit encore majoritaire dans ce fameux comité. On pourrait aussi gloser sur la maladresse du vice-président orange qui n'hésite pas à assimiler l'adhésion à son mouvement à la mort.

Deuxième raison de hausser un sourcil. JLB serait la preuve vivante de l'existence du centre-gauche qui n'est pas le centrisme traditionnel, c'est-à-dire l'ancienne UDF... Faut-il lui rappeler qu'au cours des deux dernières élections les pires scores « démocrates » de France métropolitaine ont été réalisés par lui et ses sbires (Levraud et Madrolle pour les régionales) ? S'il incarne une preuve, c'est bien celle de l'échec et de la vacuité de cette ligne de « centre-gauche ».  2,51 % au printemps dernier en PACA. 

Dans son numéro 130, la revue Commentaire proposait un article de Pierre Martin qui analysait les résultats des régionales (p.464) :


L'échec du MoDem

Avec seulement 4,3 %, le MoDem subit un échec sévère, ne pouvant se maintenir que dans une seule région, l'Aquitaine, ou la liste menée par le député Jean Lassalle obtient 10,4 %. Deux phénomènes concourent à expliquer l'échec du MoDem : la faible notoriété des têtes de liste et la faible lisibilité de sa stratégie. Ayant perdu l'essentiel des notables de l'ex-UDF, François Bayrou a dû souvent investir des candidats très peu connus et sans implantation : il est significatif que dans les trois autres régions ou le MoDem dépasse les 5 % (Basse-Normandie 8,9 %, Bretagne 5,4 % et Centre 5,1 %) ses listes étaient menées par des candidats bien implantés (28). Dans un scrutin à deux tours et à logique d'alliance, la volonté d'indépendance de François Bayrou entre en contradiction avec les intérêts partisans du MoDem et ne permet pas de donner un sens à ce vote. La faiblesse du MoDem et l'ampleur de l'avance des socialistes qui n'ont pas besoin de lui dans les rares régions ou il dépasse les 5 % permettent paradoxalement à François Bayrou de conserver sa situation d'indépendance vis-à-vis des deux principales forces, l'UMP et le PS, dont il veut briser la domination lors de la prochaine présidentielle, même si sa crédibilité est fortement entamée par les défaites successives du MoDem depuis 2007.


  1. Rodolphe Thomas, maire d'Hérouville-Saint-Clair, Bruno Joncour. maire de Saint-Brieuc, et Marc Fesneau, conseiller régional sortant et maire de Marchenoir.


Je suis surpris que cet analyste n'ait pas poussé plus loin son raisonnement post-européennes. Il me semble pourtant évident que le MoDem a perdu son électorat de base, d'origine UDF. Tous les candidats à avoir fait un score intéressant sont d'anciens UDF clairement identifiés. En PACA, la notoriété de Catherine Levraud doit valoir celle de Marc Fesneau, mais l'électorat ne s'est pas reconnu dans les démocrates écologistes. Même chose en Alsace, où Yann Wehrling parvient à faire un très mauvais score dans un territoire très marqué par le centrisme. Le mouvement est bon prince, malgré la déroute, ce dernier est devenu le porte-parole de l'équipe fantôme (on peut comprendre pourquoi ils n'ont pas traduit l'expression anglaise sur le site officiel).

Aussitôt nommé, aussitôt interviewé. Avec le même manque de rigueur, il nous explique l'échec de leur dialogue avec des gens « plutôt à gauche » (pour mémoire, lors des régionales, la consigne était que s'il devait y avoir alliance, elle ne pouvait se faire qu'à gauche), mais, bien évidemment, le MoDem n'a pas tenté de basculer à gauche. En fait, les anciens verts font exactement la même erreur que les néo-centristes en 2007. Le centre-droit ou gauche peut renvoyer à des idées ou à des alliances. Pour le NC, le centre-droit ne pouvait s'allier qu'avec la droite, pour JLB, le MoDem ne peut s'allier qu'avec la gauche... Ceci explique ce tir de barrages des anciens verts qui fait presque figure de communication de crise. Leur ligne a fait long feu (c'est peu de le dire). Peut-être que François Bayrou est en train de s'en convaincre.

Avant de chercher à s'allier, les différentes familles du Centre doivent se retrouver, s'organiser, engager une réflexion pour espérer peser. Elles ne paraissent pas avoir d'autres options. Malheureusement, pour l'instant, seul Jean Arthuis en est persuadé...

mardi 21 septembre 2010

Caricature de centriste ?

Ou malveillance du journaliste ? En tous les cas, cet extrait de l'interview d'Hervé Morin au JDD mériterait de figurer au palmarès du Press Club.

Mais le porte-parole de votre parti, Maurice Leroy, souhaite une candidature Borloo à la présidentielle ?
A notre congrès de Tours, il se déclarait favorable à une candidature d’Hervé Morin, il y a trois semaines à Lyon à celle de Jean-Louis Borloo, et jeudi dernier sur LCI à une candidature unique de Nicolas Sarkozy… Cela dit, c’est un ami très proche sur lequel je sais pouvoir compter.

On notera que l'ambiance chez les néo-centristes a l'air d'être aussi fraternelle que dans une réunion Modem de la grande époque 2007-2008 et que la refondation du Centre va nécessiter un grand nombre de maçons... ou une nouvelle déroute électorale pour que les "centristes" de tous horizons comprennent à quel point ils sont au bord du gouffre. Pauvre Centre.

mercredi 16 juin 2010

La mort silencieuse de Luigi Padovese

Ce n'est pas un scoop, l'événement a eu lieu le 4 juin dernier, mais je suis surpris de ne l'apprendre qu'aujourd'hui par la lettre de l'AED : le président de la conférence épiscopale de Turquie et vicaire apostolique en Anatolie, Luigi Padovese, a été assassiné peu avant la visite de Benoît XVI à Chypre.

En l'absence d'informations plus précises, je ne pense pas qu'il faille en tirer des enseignements géopolitiques, mais le mutisme des médias français établis me sidère. La Turquie n'est pas si lointaine et il s'agit de la mort violente d'un responsable religieux. Il semblerait pourtant qu'entre la coupe du monde (ou plutôt ses préparatifs) et les histoires d'apéros provocs, l'assassinat d'un prélat catholique pèse bien peu.

Cet événement me donne l'occasion de citer Jean Delumeau qui brise certaines représentations sur l'Église :

Un universitaire américain, David B. Barett, maître d'œuvre de la très sérieuse Christian World Encyclopedy, a cru pouvoir avancer le nombre de 40 millions de martyrs chrétiens depuis l'époque du Christ jusqu'à aujourd'hui, dont 26,7 millions pour le seul XXe siècle. Ces estimations sont hasardeuses et le cardinal Etchegaray a eu raison de déclarer qu'en ce domaine « l'Église ne s'est jamais prêtée au jeu des statistiques ».

Mais ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est qu'aucune époque de l'histoire n'a autant que la nôtre persécuté, torturé et exécuté de chrétiens – et, d'ailleurs aussi, de fidèles des autres religions, de l'Albanie à la Chine, et cela avec des moyens étatiques, des méthodes policières et une continuité de l'action destructrice sans équivalents dans le passé. (1)

Bref...


  1. DELUMEAU J., Un christianisme pour demain – Guetter l'aurore, Hachette pluriel, Paris, 2008, pp.36-37.


mardi 15 juin 2010

Gaullisme et centrisme, drôle d'association

La déroute des régionales pour les familles du Centre a eu un premier effet bénéfique : le Centre et ce qu'il peut signifier redevient un objet de débat. L'hérétique a d'ailleurs écrit un billet, selon moi, fort juste sur l'ADN centriste. Il m'a toujours semblé spécieux de réduire le centre à un positionnement, une localisation et non pas à un contenu positif. Jean-François Kahn fait partie des tenants de la première alternative. Il en tire une conséquence curieuse dans un de ses derniers billets où il assimile le gaullisme à « un vrai centrisme, tout sauf mou », par sa volonté « de subvertir les vieux clivages » (1).

Je peux concevoir ce qu'il y avait de neuf dans la tentative gaullienne de briser le système partisan de la IVe République. De là à la qualifier de centriste, il y a un pas que je ne franchirai pas. Les gaullistes, et De Gaulle en tête, n'ont jamais revendiqué cette étiquette, et pour cause, ils se voulaient au-dessus des partis. Cependant, l'Union démocratique du travail de Capitant, Hamon, Grandval ou Vallon, se réclamait du « gaullisme de gauche ». Le premier gouvernement du général comprenait des membres du MRP et du CNIP dont Pinay lui-même. Après 1962, la majorité gaulliste comptait dans ses rangs les républicains indépendants. Peut-être que le gaullisme ne peut se réduire à la droite, mais c'est là que se situait son centre de gravité et la majeure partie de son électorat.

Doctrinalement, si l'on excepte « l'idée participative », qui s'avère assez tardive, les deux autres idées-forces dans la pensée gaulliste relevées par Jean-Paul Cointet dans le Dictionnaire dirigé par Sirinelli (2) sont l'idée d'une France indépendante et l'encadrement de la nation par des institutions républicaines légitimées par le plus grand nombre. Dans les faits, à partir de 1958 elles se traduisent par un « nationalisme modéré » et un État fort. La première explique le conférence de presse ignominieuse du 15 mai 1962 où le Général assimile les partisans de l'Europe supranationale à des « apatrides » adeptes de l'espéranto ou du volapuk intégré. La deuxième, une pratique du pouvoir très particulière, qui relève plus de la droite bonapartiste que de la modération ou du respect des corps intermédiaires défendus par le Centre.

Il est même plaisant, en lisant Serge Berstein (3), de voir comment la pratique du pouvoir gaullienne préfigure la soi-disant hyperprésidence sarkozyste. Ainsi pour De Gaulle, il n'y a de « domaine qui soit ou négligé, ou réservé », se mêler de tout était consubstantiel à sa fonction. Dès 1958, il double le gouvernement par un « supercabinet » d'une cinquantaine de conseillers sous la direction de Geoffroy de Courcel puis de René Brouillet. Le Premier Ministre doit se réduire à de simples tâches d'exécution. « Certes, il existe un gouvernement « qui détermine » la politique de la nation ». Mais tout le monde sait attend qu'il procède de mon choix et n'agisse que moyennant ma confiance » peut-on lire dans les Mémoires d'espoir. Tout chef de gouvernement susceptible de faire de l'ombre à la présidence est ainsi démis que ce soit Michel Debré en 1962 ou Georges Pompidou en juillet 1968. Le conseil des ministres est réduit à une simple chambre d'enregistrement. Antoine Pinay perd son ministère pour avoir osé demander des éclaircissements sur la politique étrangère de la France. Les ministres sont régulièrement convoqués à l'Élysée sans le premier d'entre eux pour traiter directement avec le chef de l'État. Le parlementarisme a été circonvenu constitutionnellement : l'Assemblée ne contrôle plus son ordre du jour, ni son calendrier, ses initiatives en matières budgétaires sont bridées... sans oublier le 49-3 ou la possibilité gouvernementale de légiférer par ordonnances. Enfin la seule fonction du parti majoritaire « doit se borner à soutenir inconditionnellement le gouvernement, la principale qualité attendue de ses membres, qu'ils soient ou non parlementaires, étant la discipline » selon Jacques Richard lors des assises nationales de l'UNR en 1961.

Ce deuxième aspect invalide définitivement, selon moi, la définition du gaullisme (historique) comme d'un centrisme. Il n'est que l'expression d'une autre droite (bonapartiste si l'on suit René Rémond), statolâtre, autoritaire, obsédée par le chef providentiel. Aussi, j'éprouve une bizarre sensation d'altérité lorsque certains centristes annoncent leur volonté de suivre Dominique de Villepin alors que ce dernier se réclame du gaullisme.

Jean-François Kahn a critiqué le mode de fonctionnement de la présidence Sarkozy... il me paraît donc très curieux de lire sous sa plume des propos aussi favorables au gaullisme qui en a initié et illustré de nombreuses tares (et je n'ai même pas parlé de la modification constitutionnelle de 1962).

Il y a donc une confusion dans ce qui relève du « dur » et du « mou ». Il y a une différence entre défendre des positions tranchées et des pratiques politiques autoritaires. Si le centrisme français est apparu comme mou, c'est par manque de clarification programmatique, de références doctrinales solides. Si le gaullisme jouissait véritablement de ces qualités, aurait-il pu laisser se développer des interprétations aussi variées que celle de l'UDT ou d'un Jacques Soustelle ? Aurait-il fini comme un énième avatar du libéral-conservatisme ? Jean-François Kahn hésiterait-il dans son billet entre le gaullisme héroïque sans grand contenu politique de l'appel du 18 juin et le gaullisme à l'épreuve du pouvoir, présidentialiste et conservateur.


  1. [Son blog n'étant plus disponible, je reproduis une partie du billet en question : « Car le gaullisme fut cela aussi : une tentative de subvertir les vieux clivages, tentatives elles-mêmes subverties par ceux qui en instrumentalisèrent la promesse et la spécificité pour l'offrir à la vieille droite sur un plateau. Ce que la social démocratie blairiste a été au socialisme, le RPR le fut en quelque sorte au gaullisme. Le gaullisme représenta, dans les années 60, un vrai « centrisme ». Tout sauf mou. Il se heurta, certes, à une opposition de gauche que su rassembler et incarner François Mitterrand, mais aussi à une forte opposition de droite, haineuse, parfois assassine, au sein de laquelle se côtoyaient les orphelins du pétainisme, les nostalgiques du colonialisme, les atlantismes à tous crins et les libéraux les plus dogmatiques. »] Blog de JFK à nouveau disponible en début d'après-midi.

  2. SIRINELLI J.-F. (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, PUF, Paris, 1995, pp.524-529 pour l'article « gaullisme ».

  3. BERSTEIN S. et WINOCK M. (dir.), La République recommencée de 1914 à nos jours – Histoire de la France politique tome IV, Seuil, Paris, 2008, pp.389-443 sur le système politique gaullien.

vendredi 28 mai 2010

Euro 2016 : des coûts mais quels gains ?

La France vient d'obtenir l'organisation de l'Euro de football en 2016... mais, finalement, cela est presque accessoire. Ce n'est pas ce résultat qui m'a interpellé, mais le raisonnement (si ce n'est pas un bien trop grand mot en l'occurrence) tenu par un journaliste d'Europe 1 ce matin.

À partir de la huitième minute, on nous explique qu'organiser cette compétition est nécessaire car elle va permettre de construire quatre stades et d'en rénover sept pour la modique somme de 1,7 milliards d'euros (connaissant les habitudes françaises, je suppose que ce chiffre constitue un minimum). On pourrait gloser à l'infini sur le rapport coût/gains, sur l'opportunité de telles dépenses que d'aucuns pourraient juger somptuaires en période de crise, sur la faiblesse des retombées générées par de tels événements, sur le bénéfice très discutable retiré par les collectivités territoriales.

En ces temps de relativisme, cela ferait long feu. Ce qui m'a chatouillé les oreilles réside dans la fin de l'argumentation : il faut investir dans les stades car l'endettement des clubs français dépassent les cent millions d'euros. La construction de nouvelles infrastructures est nécessaire pour produire de nouvelles ressources et permettre aux clubs impécunieux de survivre ou, du moins, de ne pas se serrer la ceinture. Or, pour moitié, les dépenses des clubs proviennent de leur masse salariale. Ce n'est pas que j'aimerais ressusciter un vieux troll sur la pertinence de salaires très élevés dans le football professionnel de haut niveau, mais tout de même... D'un strict point de vue pragmatique (je dirais même matérialiste), c'est une activité qui, semble-t-il, n'est pas rentable, ni même à l'équilibre. Pour ce journaliste, il était évident que la collectivité (vu leur endettement, ce ne sont pas les clubs qui vont mettre la main à la poche... elle est déjà percée), devait très largement investir dans un moment inopportun... in fine pour combler les trous creusés par une politique salariale démentielle...

Les entreprises de BTP et les fans de football doivent être contents. Pour le reste...


PS : je sais que le dernier lien relève presque de la mauvaise foi, mais finalement, n'est-ce pas le salaire en question qui est caricatural ?

vendredi 14 mai 2010

À la recherche de « l'oiseau rare » du Centre

On attend toujours l'ouvrage de Jean-Louis Bourlanges (La tragédie du Centre qui devait paraître chez Plon à l'automne dernier), mais l'ancien député européen distille de temps à autre quelques analyses, souvent stimulantes.

Comme je l'ai fait remarquer à Bob, je regrette le titre donné à cette entrevue : Bayrou n'est qu'un élément parmi tant d'autres...

Pour ma part je retiens surtout la réaffirmation d'un credo centriste articulé autour d'un fédéralisme européen rénové (de quoi faire un autre billet) et la volonté de réformer la France. Il est tout de même malheureux que dans ses quatre pages consacrées à l'Europe, le projet humaniste tourne autour du pot, évoque les symboles, un Fonds Monétaire Européen, un Président de l'Union élu, mais, en bon bol d'eau tiède politique, refuse de parler ouvertement d'Europe fédérale.

Pour ce qui est du cancan centripète, la critique est cinglante à l'égard des trois figures de proue de cette famille politique de Bayrou à Borloo en passant par Morin... Sans doute lucide, mais guère porteur d'espérance...

samedi 8 mai 2010

Demos et Kratos en Europe – Revue de Commentaire

La crise grecque, ou plutôt la crise de la zone euro, fait apparaître sous un jour nouveau la faiblesse de l'intégration européenne, son caractère profondément bancal. Jean Arthuis (parmi d'autres) l'a reconnu en réclamant « un bond qualitatif politique en matière de coordination et d'autorité ». Ce communiqué de presse entre en résonance avec l'article de Tommaso Padoa-Schioppa « Demos et Kratos en Europe » paru dans le numéro 129 de la revue Commentaire (pp.99-107). L'ancien ministre de l'Économie et des Finances italien se livre à une analyse intéressante du projet européen, de ses finalités et de ses faiblesses actuelles (1).

La critique lancinante à l'encontre de la construction européenne se base, pour l'essentiel, sur son manque de démocratie. Pour ses détracteurs, seuls les États-nations peuvent être les dépositaires de la souveraineté d'un demos nécessairement national. En partant de ce postulat, l'auteur tente de revenir à la racine de ce qui fonde les gouvernements.

Selon lui, les limites authentiques d'un État sont rationnelles :

« Un gouvernement est nécessaire lorsque des besoins, des buts, des exigences communes à plusieurs personnes peuvent être atteints uniquement à travers des décisions, des actions et des ressources elles aussi communes ».

Or, les besoins des Européens excèdent les capacités de leurs gouvernements nationaux, qui demeurent pourtant les détenteurs principaux du pouvoir. Les dernières crises nous en donnent une illustration éclatante.

Dans le même temps, il oppose deux conceptions du demos : le demos-de-la-raison qui procède de sa vision de l'État et celle romantique, du demos-du-cœur. Sa préférence va à la première, car in-fine, la seconde revient à estimer que seule l'anarchie serait appropriée pour définir « les rapports entre des êtres humains qui ne sont unis par aucun lien affectif ou seulement culturel ou coutumier ». Il aboutit donc à l'idée d'un gouvernement décliné au pluriel le « long d'une échelle verticale de l'inclusion des cercles de plus en plus amples d'êtres humains auxquels chacun d'entre nous appartient ».

Son analyse du pouvoir (kratos) le conduit à pointer une tension fondamentale : « les gouvernants doivent être choisis par les gouvernés, mais ils doivent ensuite gouverner ceux qui les ont choisis ». Si le second syntagme pointe le degré nécessaire d'autonomie du gouvernant par rapport aux gouvernés, le premier invite à se pencher sur la thématique de l'intérêt général. Tommaso Padoa-Schioppa, en partant du principe que les biens publics appartiennent au Demos, l'intérêt général est assimilé à un intérêt particulier de tous et non pas l'intérêt d'un tiers qu'il soit l'État, la patrie ou la nation. Ainsi, l'achèvement de la démocratie consisterait en un gouvernement « choisi librement par son Demos et (...) doté du Kratos nécessaire pour gouverner la res publica. »

Dans la dernière partie de l'article, il confronte sa théorie à la situation européenne qu'il juge foncièrement contradictoire : « L'Europe a des missions possibles, mais on lui refuse le Kratos ; les États ont du Kratos, mais les missions qui leur sont attribuées sont en partie impossibles ». Pourtant, le demos-de-la-raison existe de fait, la res publica européenne s'est élargie bien au-delà de la seule paix et les différents textes qui charpentent l'Union énumèrent les biens collectifs : « sécurité, droits humains, liberté de circulation des biens et des personnes, protection de l'environnement, stabilité et solidarité économique »... La Constitution européenne définit une démocratie parlementaire, du moins, si on envisage les institutions supra-nationales, qui souffrent cependant d'un manque de pouvoir « d'une capacité à décider et des moyens pour mettre en œuvre les décisions ». Plus que tout autre chose, ce défaut explique que le demos-de-la-raison européen ne se reconnaisse pas encore comme un demos -du-cœur. Cette carence revient essentiellement selon l'auteur au Conseil de l'Union, institution intergouvernementale où s'applique souvent la règle de l'unanimité. Il n'est pas un « organe collégial » mais « une table de négociation sur le mode classique des relations internationales ». Conclusion : « l'Europe est inachevée et pour cela, aussi pour cela, nos démocraties sont malades ».

J'interprète la fin de cet article (pp.106-107) comme un appel à un nouveau fédéralisme européen. La nécessité rationnelle de l'intégration communautaire est établie, l'expérience historique des siècles passés ont montré que les demos-de-cœur s'avérait postérieur au gouvernement politique et au demos-de-la-raison, même si la réalité des populations européennes prouve déjà leur très grande proximité. Il n'empêche « l'existence d'un Demos-du-cœur est une chose, la conscience de celui-ci en est une autre, et la capacité à transformer cette conscience en action politique encore une autre. » Le réveil des nations s'oriente vers la désagrégation (la Belgique n'en donne-t-elle pas à l'heure actuelle un exemple saisissant).

« La mémoire des horreurs des guerres du passé se dissout. Et l'Europe apparaît souvent à la génération Erasmus comme un bâtiment déjà construit et déjà habité pacifiquement, qui ne nécessiterait aucun travail d'achèvement ou d'entretien. Cette génération ignore souvent que l'Europe apparaissait de la même manière à ses arrière-grands-parents en 1914, avant que le coup de pistolet de Sarajevo ne les réveille brusquement. Pour cette génération le ressort doit être la passion civique, la passion de la démocratie achevée ».

Cette conclusion mériterait une analyse complète au même titre que le rapport entre état et société, mais il me semble que les huit pages de Tommaso Padoa-Schioppa ont le mérite de réaffirmer une vision fédérale, à l'heure où l'euro-scepticisme le dispute à l'euro-mollesse.


(1) Ce qui suit n'est, bien évidemment, que ma lecture tout à fait subjective de cet article.

mercredi 14 avril 2010

La tragédie achevée (3) - Je veux peindre le Centre une mère affligée

D'Aubigné me pardonnera ce vilain plagiat. En novembre dernier, j'écrivais un long billet sur la double-tragédie du Centre. Les régionales ont illustré son dénouement : les deux mouvements qui se sont constitués en 2007 sur les décombres de l'UDF ont échoué et pour l'instant, ils n'ont pas prouvé qu'ils avaient saisi les enjeux pour leur famille politique. Les discours et autres conseils nationaux d'après-scrutin se complaisent dans le déni des réalités.

A tout seigneur, tout honneur, je commencerai par mon ancien parti le Mouvement Démocrate. La conférence de presse de François Bayrou présentait un contraste saisissant entre le propos assez grandiloquent sur l'état de la France et le caractère microscopique (microcosmique si j'osais le néologisme) d'un ajustement dans l'appareil partisan. Le livret orange réduit à un bol d'eau tiède, la désorganisation du mouvement, le départ de CAP21 (ce qui signe l'échec de la nouvelle structure pour élargir sa base électorale), tout sera réglé par la nomination d'un secrétaire général inconnu... Peut-être Marc Fesneau est-il quelqu'un de compétent, mais créer un nouveau poste alors que les secrétaires nationaux thématiques ne sont toujours pas désignés ne paraît pas spécialement adapté.

Sa première interview me laisse, au surplus, dubitatif. Pêle-même, on le voit donner des leçons de constance (trois stratégies en trois ans, en effet le MoDem est un parangon de constance...), affirmer la filiation entre l'UDF et le MoDem (pourquoi ne l'a-t-on pas entendu plus tôt ?), affirmer que les régionales ne constituait qu'un accident (ce n'est que le quatrième revers en autant de scrutins... j'y vois plutôt une confirmation), que le Mouvement est relativement neuf (j'ai déjà donné mon avis là-dessus) ce qui excuse ses errements (mais bizarrement la même jeunesse est un élément à charge pour le Nouveau Centre) et qu'il n'y a pas d'élections majeures dans les deux ans à venir (après avoir perdu les députés, les maires, la moitié des eurodéputés, les conseillers régionaux, le Mouvement peut perdre ses derniers élus sénateurs et conseillers généraux...). Si la langue de bois sur les départs fait partie du jeu politique, rien de nouveau sous le soleil par ailleurs.

Sur l'autre rive, le propos est plus riche, mais tout aussi contradictoire. Avant les régionales, Hervé Morin s'était fendu d'une déclaration affirmant que le Centre était reconstruit (voir l'actualité du 20 janvier 2010 Pour Hervé Morin «l’étape de la reconstruction» du Centre est terminée). En fait de reconstruction, les régionales ont été aussi calamiteuses. Ce scrutin n'a pas permis au NC de se faire connaître et pour cause... une nouvelle fois il ne s'est pas présenté sous ses propres couleurs. Il y a même quelque chose de pathétique à le voir systématiquement, avant les élections, annoncer sa volonté d'indépendance au premier tour pour finir dans le giron de l'UMP, quelles que soient les avanies aux quelles il est soumis (exemple parmi tant d'autres en Vendée). Ainsi, toutes les déclarations sur la présentation de liste NC passent pour de vaines rodomontades. L'UDF d'aujourd'hui ? Non, de simples supplétifs de l'UMP tout juste bons à rajouter un logo de plus sur les professions de foi. Mais, le déni est aussi puissant qu'au MoDem... Lors de son dernier conseil national, Hervé Morin a même affirmé qu'il avait eu raison et que sa stratégie était une réussite.

Or, l'ensemble des partis centristes se situent à un étiage électoral particulièrement bas. En définitive, le Centre est tombé dans le piège patiemment construit par le RPR/UMP. Le MoDem a échoué en se positionnant comme une seconde opposition, à trop singer la gauche, les électeurs ont préféré l'original. Le Nouveau Centre n'est pas parvenu à incarner le centre-droit en confondant alliance et vassalisation. Un élément majeur, qui explique ce double-échec, réside dans l'atomisation de la famille centriste : divisée elle n'atteint pas la masse critique pour faire figure d'interlocuteur sérieux.

J'ai cru que l'appel du 25 mars marquait une inflexion, que constatant leur échec, les centristes allaient chercher à se réunir. Mais non, les uns s'enferrent dans un discours de la vertu, les autres dans celui de l'allégeance. Bayrou a relégué ce projet au rang de manœuvre (mais comment appeler la soudaine ressortie de la stratégie de 2007 ?) et les propos de Morin attestent une signification très particulière de ce qu'il appelle l'indépendance. Il a, semble-t-il, oublié que le projet de l'UDF depuis 1978 a toujours été de concurrencer la droite gaullo-conservatrice, pas d'en être la mouche du coche. Le propos de Jean Arthuis est plus nuancé, plus proche de la voie stratégique d'un centre indépendant telle qu'elle avait été évoquée par Jean-Louis Bourlanges. Le passage demeure étroit. S'il est douteux que le RPR/UMP accepte la reconstitution d'un réel pôle central après avoir bataillé pendant un quart de siècle pour l'éliminer, un centre-droit allié mais non pas subordonné peut constituer une première étape dans une véritable refondation centriste.

Encore faut-il faire les bons choix. L'appel du 25 mars fait état d'une fusion alors que le projet initial était de reconstituer une grande confédération. On peut comprendre l'intérêt du Nouveau Centre. Il peut changer de nom. Il ne s'est pas imposé dans l'opinion publique. Il peut aussi se refaire une virginité médiatique à peu de frais. En revanche, cela paraît curieux pour l'Alliance centriste. La structure est jeune, en cours d'organisation... Même s'il s'agit d'un petit parti, ses adhérents ont fait un choix différent des néo-centristes. Si ce rapprochement peut aboutir à une fusion des composantes, le faire de manière précipitée reviendrait à sacrifier son originalité, ouvrir la porte à une simple mise à jour du Nouveau Centre et donc à l'échec du projet.

Je pensais qu'une déroute électorale provoquerait une remise en cause des leaders centristes et la prise de conscience du délabrement de cette famille politique. La déroute a eu lieu... pour le reste, rien n'est moins sûr...


jeudi 25 mars 2010

La tragédie achevée (2) - Tout va très bien, le MoDem est centriste

Observer les stratégies du Mouvement Démocrate après la déroute avait quelque chose de fascinant. Déni des réalités, amnésie sélective et recherche du bouc émissaire. De remise en cause réelle et profonde, il n'y en aura point comme après les européennes. François Bayrou ne s'est pas honoré par sa déclaration sur la vérité qui demeure même si elle est minoritaire. Quand on est démocrate, il faut entendre ce que disent les urnes et saisir la nuance entre la minorité et l'insignifiance...

Première conséquence de ces élections : Corinne Lepage a officiellement démissionné et quitté le Mouvement. La curée a été immédiate puisque pas moins de trois vice-présidents (Jean-Marie Vanlerenberghe, Jacqueline Gourault et ce très cher JLB trop content de s'arroger le monopole du discours écologiste du MoDem) se fendaient de déclarations diverses pour dénoncer la félonie de la présidente de CAP21, tout juste venue au MoDem pour récupérer un siège. Il y a quelque chose d'indigne dans ce traitement. En Italie, l'UDC a dû faire face au départ de son chef de file aux européennes, Magdi Cristiano Allam, quelques mois avant les prochaines régionales. La déclaration de Pier Ferdinando Casini avait autrement plus d'élégance.

Au MoDem, pour un départ de cette importance, on a diligenté des porte-flingues faire le sale boulot, porter le discrédit sur une figure qui a incarné le parti et la traîner dans la boue. Dans ce mouvement aussi centré sur la personne de son président (omniprésent durant la campagne alors qu'il n'était pas candidat), François Bayrou est resté silencieux. Je l'ai connu plus modéré et plus soucieux de préserver l'avenir. Il ne s'agit pas, ici, de faire de la démissionnaire une colombe vertueuse. La création de Terre Démocrate, selon le même chemin qui a conduit à la formation de CAP21, indiquait clairement quelle était son optique. Corinne Lepage a sans doute trop attendu pour clarifier les choses, ce qui n'a pas peu contribué à donner une mauvaise image de sa formation tantôt candidate avec Europe Écologie, tantôt avec le MoDem lorsque l'alternative n'était pas possible. Cependant, les dissensions avec CAP21 ne sont pas neuves. Dès son congrès de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre un terme au partenariat. C'est Corinne Lepage qui a maintenu l'unité, alors qu'elle aurait très bien pu obtenir une place éligible chez Cohn-Bendit. Il n'y a pas donc pas que du calcul bassement politicien dans le comportement de l'ancienne ministre.

Deuxième conséquence. Ce départ ouvre une nouvelle piste de réflexion : à quoi la création du MoDem a-t-elle bien pu servir ? Initialement, l'UDF avait été jugée trop à droite (en oubliant un peu rapidement le congrès de Lyon), trop marquée par son histoire pour accueillir efficacement les nouveaux militants. Sans CAP21, que reste-t-il des nouveaux venus si ce n'est quelques anciens cadres verts en rupture de ban ? Fallait-il faire un nouveau parti pour cela ? Surtout quand on voit leurs résultats.

En effet, le déni devant certaines réalités interroge la lucidité de ceux qui appartiennent au Mouvement. Quelle région a enregistré pour la deuxième fois consécutive le plus faible score métropolitain du MoDem ? Provence-Alpes-Côte d'Azur. Lors des Européennes, Jean-Luc Bennahmias ne faisait dans la région sud-est que 7,5 %, 6 % dans les Bouches-du-Rhône, signe de l'excellence de son implantation. Son amie (et ancienne verte qui n'a rejoint le MoDem que pour les élections municipales de 2008) Catherine Levraud a réalisé 2,5 % le 14 mars. On pourrait ajouter le cas de Yann Werlhing qui réussi un tour de force en ne faisant que 4 % dans la région la plus centriste et la plus écologiste de France (pour un écologiste dans un parti « centriste », rien que de très normal). Or, personne n'a soulevé la nullité des scores des membres d'Écologie et Démocratie. C'est à peine si on a remarqué que les « meilleurs » scores (Bretagne, Basse-Normandie, Aquitaine) avaient été réalisés par d'anciens UDF dans des secteurs où l'électorat centriste traditionnel était plus fort. La réciproque s'avérait pourtant évidente.

Le cas de PACA mérite que l'on s'y attarde. Si on étudie les déclarations post-déroute (dans la Provence du 15 mars 2010), on est confondu devant la langue de bois employée (est-ce cela faire de la politiquement autrement ?) :

« Je n'ai eu que deux mois pour me faire connaître, ce qui est difficile quand on est un parti jeune et qu'on a pas assez de réseau. Il faut du temps et nous en avons manqué ». (Catherine Levraud)

La candidate explique que son manque de notoriété est en cause. Cela aurait du sens si son score dans la ville où elle a été conseillère municipale de 2001 à 2008 et candidate à la mairie en 2008 n'était pas aussi faible : 2 %. De même la jeunesse du parti a de quoi faire sourire. Il ne serait pas aussi jeune dans les Bouches-du-Rhône, si certains ne s'étaient pas évertués à détruire tout ce qui existait pour prendre le contrôle de la fédération. En outre, l'argument ne tient pas : l'AEI ou la Ligue du Sud qui sont encore plus jeunes ont fait aussi bien. Enfin, où est la cohérence à invoquer la brièveté de la campagne lorsque JLB ne cesse de ressasser que la décision se fera dans les trois dernières semaines (cf. Lettre du Démocrate n°23 : « Il reste trois semaines de campagne, les électeurs n'ont pas encore fait leur choix, à nous d'être performants ») ?

« Ce fut tout de même une belle campagne » (Christophe Madrolle)

Y aurait-il une faille dans le raisonnement ? Si tout devait se faire dans les trois dernières semaines et que le MoDem a fait une belle campagne, comment expliquer ce résultat désastreux dans une région dirigée par un UDF jusqu'en 1995 ? Je n'ai suivi que de loin la campagne MoDem, mais à Marignane (le MoDem avait fait 6 % lors des dernières municipales avec de tous petits moyens), elle s'est limitée à un seul tractage sur un marché par quatre personnes (la candidate marignanaise, sa fille et deux autres personnes). Il a fallu attendre le jeudi précédent le scrutin pour que les panneaux électoraux arborent les affiches oranges. Si on ajoute à cela la lumineuse idée de faire un pique-nique à Marseille début mars (il faisait froid et il pleuvait ce jour-là), on peut en effet parler d'une "belle" campagne... On lit souvent dans la blogosphère MoDem des propos très rudes à l'encontre des anciens UDF. Force est de constater que les anciens Verts ne font guère mieux, sinon pire.

Enfin, troisième conséquence : le retour du centre. L'amnésie sélective a trouvé un porte-parole : Robert Rochefort. L'homme m'est sympathique et j'ai souvent trouvé son discours intelligent. Mais sa tribune dans le Monde laisse par moment songeur. A-t-il oublié ce qui s'est passé depuis 2007 ? Comment peut-on écrire comme si de rien n'était « Eh bien nous sommes au centre, et nous y restons. » L'article de François Bayrou expliquait déjà en 2007 que le mot même de centre « consacre en même temps d'une certaine manière la prééminence de cette logique droite-gauche » [Commentaire n°119, p.721] avec laquelle il voulait rompre [voir le commentaire de Thierry P. qui cite le discours de Villepinte]. Durant toute la période où j'ai été militant actif du MoDem, on m'a expliqué (notamment JLB) que le centre, c'était fini. Que le Mouvement était alternatif, que le centre, c'était la droite. Que le MoDem dépassait les clivages en étant simplement démocrate. Dans la presse, les mêmes ont affirmé que les seuls partenaires du parti orange était à gauche. Soudainement Robert Rochefort redécouvre le goût du PS pour « l'accroissement de la fiscalité et le centralisme étatique ». N'a-t-il pas entendu le discours de Marielle à Marseille ? Ou plutôt, serait-ce que la vice-présidente du MoDem aurait mesuré l'étendue de son erreur estivale ?

Cette palinodie semble, en effet, avoir été décidée en haut lieu puisque Marielle de Sarnez elle-même dans un texte publié le 24 mars affirme la nécessité d'un « centre authentique ». Après avoir refusé le terme de centre, parler d'arc central, de centre progressiste, de centre humaniste, voilà le centre authentique. Après tout, de mon point de vue, cela dénote une évolution dans le bon sens, mais cette prise de conscience apparaît bien tardive. Il en a fallu du temps pour comprendre que « l’alliance rouge/rose/verte s’est reconstituée ». Cela en dit long sur le pertinence du rassemblement de Peillon que certains soutiennent encore (plus pour longtemps ?).

Les électeurs provenant de la gauche sont partis depuis 2007, CAP 21 n'est plus que virtuellement une structure associée, en dehors de Bennahmias, le MoDem n'a rien apporté de neuf par rapport à l'UDF, au contraire, la cohérence doctrinale de l'ensemble a reculé et l'image est devenue calamiteuse au fil des revirements, des défaites . S'il est, maintenant, au centre, ce n'est pas l'invocation systématique et creuse à un prétendu humanisme qui pourra lui donner un contenu valide, surtout dans un contexte d'atomisation de cette famille politique qui s'est globalement traduit par sa disparition électorale. 

Le MoDem est, peut-être, au Centre, faute de mieux, mais le Centre a, pour l'instant, disparu.


mardi 23 mars 2010

La tragédie achevée ? (1) - Le centre-gauche n'existe pas

En novembre dernier j'écrivais que le Centre en France risquait de disparaître soit par insignifiance électorale, soit par assimilation à l'un des deux pôles... Les élections régionales ont montré la validité de cette alternative. Le Centre a disparu du débat électoral. État des lieux qui s'étalera sur plusieurs billets.

Pour la quatrième fois, le parti de François Bayrou a raté une élection (et de quelle manière), ce qui est d'autant plus cruel pour le parti le plus régionaliste de France... Adieu l'implantation locale de l'UDF. Après la disparition du groupe parlementaire, après le recul des mairies centristes (en dehors de quelques alliances avec l'UMP), après la division par deux du groupe d'eurodéputés, la disparition des conseillers régionaux achève d'anéantir l'existence d'élus démocrates, puisqu'il y a fort à parier que les prochaines sénatoriales seront meurtrières pour le groupe Union Centriste. Je ne parle pas des cantonales... les résultats lors des scrutins partiels étaient tellement faibles que le MoDem a décidé de ne plus y participer depuis cet automne... Un succès pour ceux qui voulaient représenter le troisième parti de France.

À moins de considérer le MoDem comme un parti régional aquitain, cette débandade généralisée montre la faillite des options choisies rue de l'Université depuis 2007. Lors des Européennes de l'été dernier, il apparaissait clairement que François Bayrou perdait l'électorat de centre-droit sans le remplacer. Le blog Barrejadis a essayé de prouver le contraire par une méthode de calcul qui ne m'a pas convaincu. Force est de constater que le MoDem n'a quasiment plus d'électorat. Après quatre scrutins qui ont été autant d'échecs grandissants, il serait bon d'en tirer les conclusions.

Au premier rang des erreurs majeures : la réunion de Marseille, l'été dernier. Elle a coûté très cher à plus d'un titre. Les thuriféraires de la cause orange argueront du fait qu'être démocrate conduit à parler avec tout le monde... Ce serait nier les évidences. Le courant du PS qui l'organisait (l'espoir à gauche) s'était signalé par sa volonté de constituer une alliance au-delà de la gauche traditionnelle. Cette réunion a accouché d'une pseudo-organisation : le rassemblement social, écologiste et démocrate. Marielle de Sarnez, le père Joseph de Bayrou, brosse lors de cette réunion un panégyrique des valeurs qui rapprochent les Démocrates de la gauche. Lors des municipales partielles, le MoDem s'est allié à la gauche. Un vice-président et un secrétaire du Conseil national se répandent pour expliquer que le changement est en marche (comprendre une alliance gauche-MoDem). Et dans la foulée, on annonce qu'il ne peut y avoir d'alliances avec la droite sous quelque forme que ce soit. Si on essaie de faire preuve d'un tant soit peu de lucidité, on est forcé d'admettre que pour l'électeur de base, le message était clair : le MoDem marchait à gauche.

Or, la volonté initiale de Bayrou consistait à attirer les déçus de la gauche. Ici, il fallait que le MoDem s'aligne sur l'axe rose-vert. De tergiversations en atermoiements, la gauche a accusé une fin de non-recevoir aux différentes mains tendues par le MoDem... L'accepter aurait conduit à sacrifier leur « pureté » politique alors que le scrutin à deux tours leur permettrait de recueillir l'électorat « démocrate » sans avoir à offrir des places. Le piège s'étant refermé, l'image du mouvement était troublé sans avoir pu obtenir le soutien de la gauche, seule alliée déclarée fréquentable. Devant l'impasse, nouvelle acrobatie en 2010 : le MoDem sera un parti autonome aux deux tours, alors que les sondages ne lui prédisent que 5 % des suffrages. Une fois de plus, le Mouvement Démocrate censé rompre avec les impasses du centrisme incarnait avec force l'une de ses plus fréquentes tares : le syndrome de la girouette. 

En accueillant des déçus de la gauche plurielle, les démocrates ont cru pouvoir incarner de centre-gauche, mais cela n'existe pas en France. La gauche française a la particularité d'être fascinée par son extrême, sa radicalité et son caractère révolutionnaire. L'alliance entre la gauche de gouvernement et des communistes (ou apparentés) est naturelle... Comment être en toute rigueur de centre-gauche dans une pareille configuration ? Comment s'afficher comme des modérés et s'allier avec des partis extrémistes ? C'est pour ces raisons que sous la Ve République, le centre en France est plutôt (mais pas exclusivement) de centre-droit. La droite de gouvernement ne s'allie pas avec l'extrême-droite, ménageant un espace cohérent pour les modérés. Il est doublement signifiant que le Parti social-démocrate, composé des socialistes ayant refusé le programme commun se soit retrouvé dans l'UDF giscardienne, que lors des régionales de 1998, ce soit les centristes de Force démocrate (nouveau nom du CDS associé au PSD) qui aient refusé les élections de présidents régionaux avec l'appui du FN.

Le MoDem a cru pouvoir incarner une position nouvelle... une nouvelle fois il n'a fait que poursuivre une chimère. Trop clivant pour les électeurs modérés, trop à gauche pour son électorat traditionnel, trop à droite (après tout Bayrou, c'est un homme de droite) pour ses hypothétiques nouveaux électeurs. Quatrième échec de rang alors que les Européennes et les Régionales représentaient les élections les plus favorables, moins de 4 % des votes exprimés, ce qui le positionne en sixième force politique du pays... que faut-il de moins pour admettre que ce positionnement est un échec complet ?


dimanche 28 février 2010

Le non-sens d'un « grand rassemblement écolo-démocrate » (2)

La première partie n'était qu'un préambule pour poser le problème : le flou du projet démocrate, qui de ce point de vue constitue une régression par rapport au programme de la nouvelle UDF, et sa compatibilité supposée avec l'écologie politique.


La proximité entre la gauche et l'écologie politique n'est pas un accident français et le Parti de Gauche, évoqué précédemment, une exception. On la retrouve un peu partout à des degrés divers en Europe (Espagne, Italie notamment). D'une certaine manière, l'écologie politique se comporte comme un énième avatar du rationalisme moderne. Il n'est pas anodin qu'à la base de cette famille de pensée, l'écologie se pense d'abord comme une science. Entre le rationalisme marxiste et l'écologisme, l'analyse n'est pas identique mais le mode opératoire est le même : la véracité de leur compréhension du monde fonde leur légitimité. Leurs opposants sont renvoyés à leur ignorance, intéressée ou pas. Avant-hier sur Europe 1, Augustin Legrand (Europe Écologie) n'hésitait pas à affirmer que la liste à laquelle il appartenait était composée de Verts et d'experts...

Pour que la famille politique issue du centre puisse survivre (et les régionales prouveront à n'en pas douter à quel niveau de déliquescence elle est malheureusement parvenue), il me paraît nécessaire de revenir aux fondamentaux pour proposer une synthèse actualisée de ce que pouvait être l'UDF (je me place dans le champ des idées et non pas dans celui des stratégies électorales). Il faut montrer ce qui la différencie du reste de l'échiquier politique, ce qu'elle est de manière tranchée. Or, en toute rigueur, par son héritage démocrate-chrétien, l'UDF n'était pas un parti rationaliste stricto sensu.

Dans son ouvrage Le sens du politique Laurent de Briey, directeur du CEPESS (le centre d'études affilié au Centre démocrate et humaniste wallon) précisait en ces termes le ressort fondamental du rationalisme politique :

Le génie de la morale kantienne est d'exprimer dans sa plus grande perfection l'ambition de l'idéal rationaliste moderne : émanciper l'homme de tout ordre extérieur en fondant sur la raison une synthèse de la liberté et de la loi. Comme agir librement signifie agir conformément à la raison et que, dans le même temps, la loi n'exige que le respect de la raison, l'homme libre se confond avec celui qui agit de la manière respectueuse de la loi. La raison est le moyen terme qui permet de réconcilier la liberté et la loi. [L. de BRIEY, Le sens du politique – Essai sur l'humanisme démocratique, Mardaga, 2009, p.28.]

Il en expliquait aussi les failles :

L'être humain n'est pas naturellement vertueux, il ne souhaite pas toujours agir raisonnablement. D'autre part, l'État ne peut pas se confondre avec LA raison, il ne peut pas être l'expression de LA volonté générale. Le principe abstrait d'un État rationnel ne peut s'incarner que dans un législateur et un gouvernement concrets composés d'hommes qui nommeront volonté générale ce qui n'est que leur volonté particulière. Dès lors, l'unité de la raison et de la liberté conduit au despotisme : une loi dont on ne sait pas si elle est réellement raisonnable est imposée par quelques personnes à l'ensemble d'un peuple qui ne se croit plus libre. [L. de BRIEY, Le sens du politique – Essai sur l'humanisme démocratique, Mardaga, 2009, p.32.]

L'idée que l'État incarne seul la raison conduit à un glissement pour ne pas dire à une perversion de la structure étatique. Or, comme le rappelait Jean-Louis Bourlanges, l'UDF n'était pas statolâtre. Dans le même temps, obliger le corps politique à se comporter vertueusement d'un point de vue écologique constitue la base même du propos écologiste : il faut éduquer les gens. Jacques Maritain dans sa conférence sur le Peuple et l'État nous avertissait sur les dangers inhérents à confondre, voire à identifier le corps politique et l'État, le tout et la partie :

Le problème, à mon avis, est de distinguer le progrès normal de l'État des fausses notions, liées au concept de souveraineté, qui ont parasité ce progrès ; et aussi de changer les conditions générales arriérées qui, en imposant à l'État une trop lourde charge, l'exposent à devenir sérieusement vicié. Car ces conditions générales arriérées et ces fausses notions absolutistes donnent lieu ensemble à un processus de perversion qui se combine à la croissance normale et y introduit des altérations parasitaires. Comment décrire ce processus de perversion ? Il se produit – et ceci est évident d'après toutes nos remarques précédentes – quand l'État se prend à tort pour un tout, le tout de la société politique, et quand, par la suite, il prend sur lui d'exercer les fonctions et d'accomplir les tâches qui, normalement, relèvent du corps politique et de ses divers organes. [J. MARITAIN, L'Homme et l'État, Desclée de Brouwer, 2009, p.39.]

Aussi, je me méfie des écologistes (je devrais dire des Verts) et de leurs prétentions hégémoniques, au moins dans le débat d'idées. Non pas que je leur prête des intentions totalitaires, mais leur mode de pensée me paraît dangereux à terme et inconciliable avec une pratique humaniste de la politique

Le XXe siècle a été martyrisé par ceux qui savaient trop bien vers quoi se dirigeait l'humanité et comment elle devait y aller. Pour Rayment-Pickard, les racines de ce futur obligatoire plongent dans la croyance qui fut celle des Lumières : on ne doit pas simplement attendre le futur mais le produire. Inévitablement, le résultat est brutal : « Du moment qu'il y a un plan, il faut s'y conformer ; il faut contrôler et gérer les ressources nécessaires à ce plan ; ceux qui ne sont pas d'accord ou qui ne coopèrent pas doivent aussi être « gérés ». Tout ce qui concerne la mise en œuvre d'un futur planifié exige qu'on lui applique ce qu'Adorno et Horkheimer appellent la « raison instrumentale » : une rationalité qui a le contrôle et met tout au service du but fixé (1). » Le but premier du plan peut avoir été la liberté humaine, mais au siècle dernier nous avons souvent constaté qu'il la détruisait. [T. RADCLIFFE, Pourquoi donc être chrétien ?, Cerf, 2005, p.24.]

Non, décidément, je ne trouve pas d'intérêt autre que tactique à un rassemblement écolo-démocrate.


(1) H. RAYMENT-PICKARD, The Myths of Time : From St Augustine to American Beauty, p.119.

samedi 27 février 2010

Le non-sens d'un « grand rassemblement écolo-démocrate » (1)

J'ai préféré scinder ce billet en deux du fait de sa longueur. L'argumentation présentée n'est pas définitive et nécessite sans doute d'autres approfondissements.


Depuis les élections européennes de juin dernier, l'écologie est à la mode. Le développement durable envahit tout. Chaque groupe politique cherche à mettre une petite touche de vert sur ses tracts. Derniers exemples en date : le Parti de Gauche, dont le logo arborait jusqu'à présent qu'un bordeaux/terracota du plus bel effet, est devenu bicolore et le MoDem a même créé ad hoc une coquille vide pour remplacer un CAP21 indocile. Ces deux faits me paraissent significatifs de l'impasse que représente les divers projets de convergence entre les écologistes et les personnes issues du Centre.

Le rassemblement écolo-démocrate ne vaut pas mieux, selon moi, que le rassemblement fourre-tout de Peillon. Il ne s'agit pas de nier l'importance de la préoccupation environnementale. Il ne s'agit pas non plus de refuser par principe toute forme de coopération avec les écologistes. Mais, affirmer que la seule troisième voie possible réside dans le rapprochement entre centristes et écologistes repose sur un présupposé flou et faux d'une compatibilité évidente.

L'affaiblissement doctrinal (pour ne pas dire idéologique) du clivage droite-gauche rend particulièrement inconfortable la position centriste. La modération qui lui était propre entre une gauche marxiste et une droite conservatrice ne peut plus suffire à déterminer un espace politique véritable : les contours des deux autres familles politiques ont considérablement évolué. L'échiquier politique français baigne dans les brumes. Le seul clivage qui fonctionne électoralement réside dans la posture politique et l'opposition entre une majorité au pouvoir et une opposition qui aspire à la remplacer. L'encéphalogramme du débat public est plat. Or, le centrisme, de ce point de vue là, constitue un positionnement faible. Il apparaît comme la famille politique qui refuse de choisir, la mollassonne, l'opportuniste prête à se vendre... liste non exhaustive.

Pourtant, l'UDF avait un fond doctrinal riche et cohérent. En 2006, Jean-Louis Bourlanges le définissait ainsi :

L'UDF occupe sur l'échiquier idéologique français une position relativement claire, définie par la conjonction de l'héritage libéral, celui de Montesquieu, Benjamin Constant ou Tocqueville, et d'une exigence de solidarité inscrite dans les traditions démocrate-chrétienne et radicale. Elle s'est donc constamment située en opposition à la culture jacobine, centralisatrice et nationaliste qui domine la gauche de la gauche et la droite autoritaire. Elle s'est toujours confrontée aux champions de la « guerre civile froide » qui n'envisagent la politique que sous l'angle de la conquête d'un appareil d'État contrôlant étroitement la société. Institutionnellement, notre famille a toujours été favorable à un rééquilibrage des pouvoirs au profit des assemblées, des collectivités territoriales et de l'Union Européenne. Économiquement, nous avons toujours combattu le dirigisme et le protectionnisme, célébré les vertus de la liberté de produire et d'échanger. Socialement, nous avons toujours été favorables à une extension du champ de la politique contractuelle et à la mise en place d'instruments de solidarité combinant la prise en charge publique des besoins sociaux avec une liberté de choix renforcée pour les bénéficiaires. [Commentaire, n°119, automne 2007, p.714]

D'une certaine manière, le programme des présidentielles de 2007, supervisé par Pierre Albertini, a incarné l'aboutissement doctrinal de la nouvelle UDF. Cependant, dès son article « du Centre au projet démocrate » [Commentaire, n°119, automne 2007, pp.721-729] François Bayrou prenait ses distances avec cet héritage pour une synthèse plus large. En fait, le Mouvement Démocrate, pas encore né, s'était mis au diapason des autres formations politiques : propositions vagues, hétéroclites, course à l'électeur le plus divers. Et ce n'est pas le congrès d'Arras qui a modifié cela. Il est bien difficile de cerner la doctrine de ce parti, de saisir la cohérence de l'architecture d'ensemble ou son originalité intrinsèque dans le fameux petit livre orange.

Dernier symptôme de cette faiblesse doctrinale, l'idée que l'avenir du mouvement ne passerait que par la convergence avec les écologistes. Mieux : l'absence de rapprochement orange-vert expliquerait les échecs électoraux précédents du parti de François Bayrou. Or, si on revient aux racines de ce qu'est le centre en France, on se rend compte qu'il y a une contradiction fondamentale. La pensée centriste n'est pas soluble dans l'écologisme à moins d'être dénaturée.

vendredi 19 février 2010

Écologie et Démocratie : une chapelle écologiste de plus ?

Bob m'excusera de plagier un de ses titres récurrents mais, la tentation était trop grande à la lecture de la lettre du démocrate n°21. On y apprend en effet que l'eurodéputé Jean-Luc Bennahmias vient de créer un mouvement, « Écologie et Démocratie », avec une belle marguerite comme symbole (sic...). De quoi être saisi de vertige.

Je suis surpris que les quelques billets qui ont évoqué cette création dans la blogosphère démocrate se soient contentés de se féliciter de cette « création ». Des membres d'un mouvement, qui créent un autre mouvement, cela paraît curieux, d'autant que ce qui s'apparente, en définitive, à un courant a sa propre charte, son propre comité directeur... Cela est d'autant plus étonnant que le Mouvement Démocrate devait être unitaire. Lors de son tour de France en juillet 2007, François Bayrou nous avait même expliqué qu'en dépit de son amour pour l'ancienne UDF, il était hors de question de revenir à un mouvement confédéral ou d'envisager l'existence de courants. Selon lui, cela ferait perdre énormément d'énergie dans des rivalités internes (re-sic) au détriment du débat avec les autres forces politiques. Encore plus savoureux, le même Jean-Luc Bennahmias, lors d'un conseil départemental provisoire des Bouches-du-Rhône en 2008, avait même expliqué que le maintien de la structure autonome de Cap21 constituait, de fait, la reconnaissance d'un courant ce qui était contraire à la vocation unitaire du Mouvement Démocrate.

En deux ans, les choses ont bien changé semble-t-il. Qu'est-ce donc que ce courant ? Si on consulte la composition du comité directeur surtout dans son abondante composante bucco-rhodanienne, on devine qu'il ne s'agit pas d'un think tank. La lecture de la fameuse charte  en donne la confirmation : quelques poncifs gaucho-verdâtres, quelques bons sentiments démocrates, le convenu le dispute au banal. Selon le site de la Fédération, on apprend qu'elle « est ouverte aux discussions avec tous les démocrates, laïcs et républicains et soutient en ce sens l’initiative du Rassemblement initiée à Marseille et Dijon ». Si on ajoute le fait que notre cher euro-député veut donner donner de la visibilité aux écologistes du MoDem (et que son tout nouveau logo apparaît sur les tracts MoDem pour les régionales), les choses s'éclaircissent...

Ce ne sont que des hypothèses, mais il peut y avoir trois explications à l'officialisation du réseau Bennahmias au sein du MoDem (car, pour l'avoir côtoyé, je peux vous dire qu'il ne date pas du 16 février 2010, et qu'il a déjà prouvé sa grande et retorse capacité à manœuvrer). Ces différentes suppositions ne s'excluent pas mutuellement d'ailleurs.

Tout d'abord, les relations entre CAP21 et les Verts ralliés n'ont jamais été bonnes. Corinne Lepage prenant du recul, fondant Terre Démocrate avec visiblement l'intention d'en faire un parti (du moins le processus était le même lors de la création de CAP21), le MoDem n'avait plus d'alibi écologiste. Cela est d'autant plus vrai que les verts ralliés ne bénéficient pas d'une grande notoriété (pour avoir tracté pendant les européennes, je peux vous certifier que même Bennahmias n'est pas connu en dehors des gens qui s'intéressent vraiment à la politique). Au moins, avec un joli logo avec Écologie en vert, ils doivent espérer grapiller quelques voix qui se sont portées sur Europe Écologie en 2009. Je doute cependant que cette manœuvre soit très efficace... Europe Écologie, les Verts, l'Alliance Écologiste Indépendante, Génération Écologie, le Mouvement Écologiste Indépendant, CAP21, les nouveaux écologistes du Trèfle et j'en oublie sans doute, il y a déjà une offre pléthorique en la matière.

Deuxième visée, ce serait une tentative pour circonvenir les agissements futurs de Corinne Lepage. Depuis le temps qu'elle réclame un rapprochement écolo-démocrate, la fondation d'Écologie et Démocratie semble vouloir lui couper l'herbe sous les pieds... Pas la peine d'aller à Europe Écologie, les écolo-démocrates, c'est nous...

Troisième possibilité, la création de ce courant ne viserait qu'à préparer un retour dans le giron de la gauche plurielle ou arc-en-ciel (que la clique de Bennahmias n'a jamais vraiment quitté). Rien de plus facile une fois que l'on a une structure de changer d'affiliation. Le soutien affiché au rassemblement peillonisé (alors que l'initiative a pour l'instant fait un flop) le laisse croire. Le Mouvement Démocrate paraît nettement moins porteur en 2010 qu'en 2007 et certains « amis » de Bennahmias regrettent d'avoir misé sur le mauvais cheval. L'éventualité d'une scission me paraît d'autant plus forte que ce processus n'a jamais déchaîné l'enthousiasme du leader orange. D'ailleurs que pourrait-il en retirer alors que les échéances présidentielles s'approchent ? La convergence entre les centristes et la gauche a déjà échoué en Italie. S'il s'agit d'appliquer le modèle italien du Parti Démocrate (qui aurait inspiré dans une certaine mesure la création du MoDem puis les agissement de Peillon), autant s'économiser la création d'un grand machin inefficace. Il est d'ailleurs savoureux qu'Écologie et Démocratie invoque le patronage de Francesco Rutelli, en le présentant comme vice-président du parti démocrate italien, alors qu'il a démissionné depuis quatre mois, alors que le destin de son nouveau parti, l'Alliance pour l'Italie, le conduit plutôt à un rassemblement avec les centristes démocrates-chrétiens de l'UDC.

Décidément, je ne vois pas la dynamique insufflée au MoDem par la création de cette énième chapelle écologiste. Les régionales révèleront sans doute la véritable intention de ses promoteurs.