lundi 2 novembre 2009

La double tragédie du Centre (1)

Ce qui suit est issu de la fusion de plusieurs idées de billets, restés à l'état de brouillon. Du fait de sa longueur, il a été divisé en quatre. En voici le premier volet.


Les prises de position actuelles des différents partis issus du Centre permettent de tirer un bilan des deux années qui ont suivi l'adhésion de l'UDF au Mouvement Démocrate. 

En 2007, deux tendances se sont dégagées dans la famille centriste : une proclamant la nécessaire indépendance du Centre pour perturber le fonctionnement bipolaire du système électoral français, l'autre affirmant la nécessité de rester arrimé au grand parti de droite pour exister.

François Bayrou a porté avec panache l'idée d'un Centre indépendant. La tenue programmatique de la campagne présidentielle et le score du premier tour ont soulevé un enthousiasme certain, identifiable à une vague nouvelle d'adhésions. Enfin, le centre français affichait son indépendance face au RPR. De quoi sauter le pas de l'engagement politique pour les sympathisants UDF, mal à l'aise devant la vassalisation de la famille centriste jusque là. Deux ans après, force est de constater que cette entreprise a fait long feu. L'échec, me semble-t-il, porte sur trois aspects : la structure partisane, le déficit idéologique et le positionnement stratégique.

Pour qui a assisté à des réunions MoDem au début de l'été 2007 (dans les Bouches-du-Rhône et sans doute ailleurs), il y avait de quoi être médusé. Naïvement, j'avais cru que la nouvelle structure consistait à élargir l'UDF libre. En fait non. La plupart des nouveaux adhérents voulaient en finir avec l'ancienne structure UDF et ses cadres. Leur entrée récente en politique ou le départ de leur précédente formation fondaient, en soi, leur légitimité. Un élu UDF (même fidèle à la ligne Bayrou) incarnait nécessairement une politique du passé, une subordination aveugle ou latente à la droite et un refus de pratiques authentiquement démocratiques que le nouveau parti devait porter. Ici bas, c'était l'anarchie et des engueulades interminables. Simple crise de croissance ? Non, docteur, c'était pire. François Bayrou avait réussi a faire une campagne populaire sans les dérives basistes du protocole mis en place par Ségolène Royal... Or, mutation curieuse, l'élection présidentielle passée, le MoDem a été submergé par une vague basiste. Le petit et le sans grade se trouvaient beaucoup plus légitimes qu'un élu, un cadre ou un responsable au seul prétexte qu'il était nouveau sous la bannière orange.

Il me semble donc que le départ des députés UDF a fait beaucoup plus de mal au nouveau mouvement que prévu. J'ai ici un désaccord avec l'excellent Bob qui sur son blog affirmait récemment : « La différence c'est peut-être aussi que Bayrou a une responsabilité dans ce qu'est aujourd'hui le NC, alors que les fondateurs du NC n'en ont aucune dans la situation actuelle du MoDem. » Et bien non, le départ des députés a décrédibilisé la volonté d'indépendance de l'UDF libre aux yeux des nouveaux soutiens de François Bayrou. Finalement, cette UDF-là, c'était bien la droite et que la droite... De plus, cela a décapité une partie des fédérations, contribuant un peu plus au bazar démocrate. Au cours de cet été 2007, le mouvement naissant a été plongé dans une forme d'anomie. Seignosse n'ayant rien tranché, la tardiveté du congrès de Villepinte (sans doute due à des difficultés matérielles) n'a pas arrangé cet état de fait... Surtout que les premières véritables élections du nouveau mouvement (les législatives n'étaient qu'une forme de redite par rapport aux présidentielles), les municipales, se préparaient déjà... Ces élections ont révélé une chose : comme toutes les familles politiques, les démocrates avaient attiré à eux un ensemble hétéroclite d'arrivistes, recherchant une étiquette porteuse pour satisfaire leur soif de conquête électorale. En dehors du président-fondateur, il n'y avait pas, localement, d'autre instance de légitimation. Tout était permis ou presque. Au lieu d'appliquer des statuts et de respecter des règles, on a vu se développer des réseaux plus ou moins informels, issus d'anciennes allégeances... Ne t'inquiète pas, j'ai eu untel au téléphone, j'aurai l'investiture... Avec de telles pratiques, il n'est pas étonnant qu'il y ait eu des étincelles entre nouveaux adhérents et structure UDF restante. Les Bouches-du-Rhône en ont donné un exemple tristement célèbre... Pour Arles et Marseille, les anciens UDF furent désavoués au profit d'anciens verts : il fallait montrer le visage d'un parti rénové. Après tout, soit. Mais ce maelström, dans ce contexte, a été très mal géré (pouvait-il en être autrement ?). Il a fait éclater au grand jour l'ambiance de guerre civile qui régnait dans le mouvement. Finies les envolées lyriques, bienvenue à la politicaillerie de bas étage. Un mouvement unitaire ? Non, plutôt une armée mexicaine... Les défaites se succédant, l'enthousiasme est retombé. La constitution des mouvements départementaux n'a pas arrangé la situation. Au contraire, elle a été l'occasion de solder les comptes après les municipales. Le militant orange s'est fait plus rare lors de la campagne européenne... et il y a fort à parier que la situation ne sera pas meilleure pour les régionales. Ceux qui voudraient réduire ce phénomène à un simple effet de mode qui s'estompe se trompent. Il y a surtout eu une profonde désillusion de voir que, pour beaucoup, les ennemis du MoDem se trouvaient déjà dans le parti et qu'il fallait les marginaliser. En définitive, les difficultés de construction du MoDem ont largement résidé dans cette difficile quête de légitimité des adhérents et dans sa reconnaissance par les autres, en dépit du travail d'une armée de médiateurs...

Le choix, justifié dès 2007 par François Bayrou, d'un mouvement unitaire a ainsi obéré le développement de notre famille politique. En juillet 2007, à Marseille, le leader orange avait expliqué ce choix : il ne fallait pas réitérer les erreurs de l'UDF confédérale et ses chicaneries perpétuelles. Il est vrai que faire l'histoire de l'UDF « giscardienne » de 1978 à 1998, c'est porter le regard sur des luttes continues de préséance entre grandes et petites formations, entre les démocrates-chrétiens et les libéraux. Mais, en définitive, le Mouvement Démocrate « unitaire » a-t-il fait mieux ? Au bout de deux années, on trouve le même bazar, les succès électoraux en moins. La famille centriste (ou centripète) est trop diverse pour être enfermée dans une construction monolithique. Le génie de Giscard était de l'avoir compris, l'orgueil de Bayrou a été de vouloir s'en affranchir. L'enthousiasme de 2007 nous a aveuglé sur la profonde hétérogénéité et l'irréductibilité de l'électorat bayrouïste.

3 commentaires:

  1. Très bon billet, je passe par hasard via l'échiquier et j'approuve en grande partie.

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  2. Très intéressant, comme le Crapaud qui m'a précédé, je passe par hasard via l'échiquier et j'approuve en grande partie ! ...sauf peut-être sur cette dernière phrase :

    « La famille centriste (ou centripète) est trop diverse pour être enfermée dans une construction monolithique. Le génie de Giscard était de l'avoir compris, l'orgueil de Bayrou a été de vouloir s'en affranchir. »

    Il me semble que ce n’est ni une question de génie ici, ni une question d’orgueil là !
    La différence essentielle entre les composants de l’UDF et ceux du Modem c’est que les premiers constituaient un ensemble très homogène, se revendiquant tous de Droite et accessoirement ne se retrouvant pas dans l’UDR puis le RPR, alors que les seconds viennent pour certains de la Gauche, d’autres de l’UDF et d’autres encore plutôt de la Droite.

    Autant la réunion des premiers derrière un même homme était facile, autant fidéliser l’ensemble hétérogène que constituent les seconds nécessitait un mouvement fédérateur faute de quoi ils se seraient éparpillés à droite et à gauche.

    Ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de Francois Bayrou c’est bien les origines diverses de son électorat au premier tour de la présidentielle. Sa force du fait même de cette diversité et parce qu’avec la clientèle traditionnelle de l’UDF il aurait fait moitié moins, et sa faiblesse parce que tout ce petit monde hétéroclite, une fois la fièvre de l’élection passée, est difficile à fidéliser via un semble homogène.

    Or, ce qui aurait pu n’être qu’une force s’est révélé surtout une faiblesse du fait que les bases organisationnelles sur lesquelles s’est bâti le MoDem, héritées de l’UDF, ont été réduites à peau de chagrin.
    Il me semble que l’origine du problème trouve sa source dans le quiproquo entre Bayrou et les cadres de l’UDF sur lesquels il s’est appuyé pour mener campagne.
    Il y avait clairement un conflit d’ambitions entre le premier n’avait en tête que la Présidentielle et les autres qui voulaient bien se dévouer pour l’aider à atteindre son but mais certainement pas jusqu’à sacrifier leurs mandats.
    Pour se faire sa place entre les 2 partis dominants, Bayrou a bâti son discours de campagne sur le « ni à Droite ni à gauche » et si on ajoute à cela une forte animosité à l’égard de Sarkozy, il était logique, voire cohérent, qu’il refuse de rejoindre la majorité présidentielle. Les cadres de l’UDF, eux, sont surtout « ni à gauche ni à gauche » et lorsqu’ils ont compris, bien aidés par Sarkozy, que s’ils restaient fidèles à Bayrou, ils se retrouveraient dépouillés de leurs mandats, ils n’ont pas hésité, ils ont créé le NC, réminiscence de feu l’UDF et caution centriste de l’UMP.
    Du coup, brutalement, Bayrou qui était prêt à assumer une fonction présidentielle qui, comme on à coutume de le dire, est la rencontre d’un homme seul avec la Nation, s’est retrouvé quasi seul non pas face à la Nation mais face à un ensemble hétéroclite de militants, sympathisants, souvent pleins de bonne volonté mais inorganisés et pour quelques uns opportunistes !...d'ou le bordel !

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  3. Bienvenue et merci pour vos commentaires

    au Crapaud : Ce billet manque peut-être de référence aux poujamodémistes ;-) , mais dans les Bouches-du-Rhône ils ont rapidement été circonvenus.

    Si je vous ai bien lu, je crois que nous risquons de diverger sur les prochains volets de ce bilan.

    @ Nicolas007bis :

    Ma subjectivité d'ancien sympathisant UDF passé par le MoDem intervient sans doute aussi.

    Il est vrai que l'hétérogénéité de 2007 était bien plus forte qu'en 1978. Cependant, il me semble que vous caricaturez un peu l'UDF giscardienne. Un bon nombre de composantes ne se pensaient pas de droite. Le CDS était attaché à un positionnement centriste (surtout sa composante Centre Démocrate). Les radicaux sont issus d'une autre famille que la droite. Il y avait également le Mouvement Démocrate socialiste de France (qui deviendra par la suite le PSD) formés par des socialistes qui refusaient le programme commun. Si on ajoute les libéraux atlantistes du PR, l'UDF d'alors était bel et bien hétérogène, mais cela était médiatisé par les différentes composantes. On pouvait arborer une même étiquette sans renier sa spécificité. C'était complexe et novateur à l'époque. Il me semble y reconnaître la ductilité de Giscard en la matière (si vous voulez récuser le terme de génie).

    Avec le recul, il me semble que Bayrou a bien fait preuve d'orgueil (vous ne m'avez pas encore convaincu) en croyant pouvoir susciter une organisation qui subsume l'hétérogénéité très forte de son nouvel électorat. Je ne l'incrimine pas parce qu'il a échoué dans cette tentative, mais parce que l'outil qu'il a imaginé (malgré les avis contraires) ne pouvait pas y parvenir.

    Au plaisir de vous lire.

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