dimanche 28 février 2010

Le non-sens d'un « grand rassemblement écolo-démocrate » (2)

La première partie n'était qu'un préambule pour poser le problème : le flou du projet démocrate, qui de ce point de vue constitue une régression par rapport au programme de la nouvelle UDF, et sa compatibilité supposée avec l'écologie politique.


La proximité entre la gauche et l'écologie politique n'est pas un accident français et le Parti de Gauche, évoqué précédemment, une exception. On la retrouve un peu partout à des degrés divers en Europe (Espagne, Italie notamment). D'une certaine manière, l'écologie politique se comporte comme un énième avatar du rationalisme moderne. Il n'est pas anodin qu'à la base de cette famille de pensée, l'écologie se pense d'abord comme une science. Entre le rationalisme marxiste et l'écologisme, l'analyse n'est pas identique mais le mode opératoire est le même : la véracité de leur compréhension du monde fonde leur légitimité. Leurs opposants sont renvoyés à leur ignorance, intéressée ou pas. Avant-hier sur Europe 1, Augustin Legrand (Europe Écologie) n'hésitait pas à affirmer que la liste à laquelle il appartenait était composée de Verts et d'experts...

Pour que la famille politique issue du centre puisse survivre (et les régionales prouveront à n'en pas douter à quel niveau de déliquescence elle est malheureusement parvenue), il me paraît nécessaire de revenir aux fondamentaux pour proposer une synthèse actualisée de ce que pouvait être l'UDF (je me place dans le champ des idées et non pas dans celui des stratégies électorales). Il faut montrer ce qui la différencie du reste de l'échiquier politique, ce qu'elle est de manière tranchée. Or, en toute rigueur, par son héritage démocrate-chrétien, l'UDF n'était pas un parti rationaliste stricto sensu.

Dans son ouvrage Le sens du politique Laurent de Briey, directeur du CEPESS (le centre d'études affilié au Centre démocrate et humaniste wallon) précisait en ces termes le ressort fondamental du rationalisme politique :

Le génie de la morale kantienne est d'exprimer dans sa plus grande perfection l'ambition de l'idéal rationaliste moderne : émanciper l'homme de tout ordre extérieur en fondant sur la raison une synthèse de la liberté et de la loi. Comme agir librement signifie agir conformément à la raison et que, dans le même temps, la loi n'exige que le respect de la raison, l'homme libre se confond avec celui qui agit de la manière respectueuse de la loi. La raison est le moyen terme qui permet de réconcilier la liberté et la loi. [L. de BRIEY, Le sens du politique – Essai sur l'humanisme démocratique, Mardaga, 2009, p.28.]

Il en expliquait aussi les failles :

L'être humain n'est pas naturellement vertueux, il ne souhaite pas toujours agir raisonnablement. D'autre part, l'État ne peut pas se confondre avec LA raison, il ne peut pas être l'expression de LA volonté générale. Le principe abstrait d'un État rationnel ne peut s'incarner que dans un législateur et un gouvernement concrets composés d'hommes qui nommeront volonté générale ce qui n'est que leur volonté particulière. Dès lors, l'unité de la raison et de la liberté conduit au despotisme : une loi dont on ne sait pas si elle est réellement raisonnable est imposée par quelques personnes à l'ensemble d'un peuple qui ne se croit plus libre. [L. de BRIEY, Le sens du politique – Essai sur l'humanisme démocratique, Mardaga, 2009, p.32.]

L'idée que l'État incarne seul la raison conduit à un glissement pour ne pas dire à une perversion de la structure étatique. Or, comme le rappelait Jean-Louis Bourlanges, l'UDF n'était pas statolâtre. Dans le même temps, obliger le corps politique à se comporter vertueusement d'un point de vue écologique constitue la base même du propos écologiste : il faut éduquer les gens. Jacques Maritain dans sa conférence sur le Peuple et l'État nous avertissait sur les dangers inhérents à confondre, voire à identifier le corps politique et l'État, le tout et la partie :

Le problème, à mon avis, est de distinguer le progrès normal de l'État des fausses notions, liées au concept de souveraineté, qui ont parasité ce progrès ; et aussi de changer les conditions générales arriérées qui, en imposant à l'État une trop lourde charge, l'exposent à devenir sérieusement vicié. Car ces conditions générales arriérées et ces fausses notions absolutistes donnent lieu ensemble à un processus de perversion qui se combine à la croissance normale et y introduit des altérations parasitaires. Comment décrire ce processus de perversion ? Il se produit – et ceci est évident d'après toutes nos remarques précédentes – quand l'État se prend à tort pour un tout, le tout de la société politique, et quand, par la suite, il prend sur lui d'exercer les fonctions et d'accomplir les tâches qui, normalement, relèvent du corps politique et de ses divers organes. [J. MARITAIN, L'Homme et l'État, Desclée de Brouwer, 2009, p.39.]

Aussi, je me méfie des écologistes (je devrais dire des Verts) et de leurs prétentions hégémoniques, au moins dans le débat d'idées. Non pas que je leur prête des intentions totalitaires, mais leur mode de pensée me paraît dangereux à terme et inconciliable avec une pratique humaniste de la politique

Le XXe siècle a été martyrisé par ceux qui savaient trop bien vers quoi se dirigeait l'humanité et comment elle devait y aller. Pour Rayment-Pickard, les racines de ce futur obligatoire plongent dans la croyance qui fut celle des Lumières : on ne doit pas simplement attendre le futur mais le produire. Inévitablement, le résultat est brutal : « Du moment qu'il y a un plan, il faut s'y conformer ; il faut contrôler et gérer les ressources nécessaires à ce plan ; ceux qui ne sont pas d'accord ou qui ne coopèrent pas doivent aussi être « gérés ». Tout ce qui concerne la mise en œuvre d'un futur planifié exige qu'on lui applique ce qu'Adorno et Horkheimer appellent la « raison instrumentale » : une rationalité qui a le contrôle et met tout au service du but fixé (1). » Le but premier du plan peut avoir été la liberté humaine, mais au siècle dernier nous avons souvent constaté qu'il la détruisait. [T. RADCLIFFE, Pourquoi donc être chrétien ?, Cerf, 2005, p.24.]

Non, décidément, je ne trouve pas d'intérêt autre que tactique à un rassemblement écolo-démocrate.


(1) H. RAYMENT-PICKARD, The Myths of Time : From St Augustine to American Beauty, p.119.

2 commentaires:

  1. C'est une fine analyse Fulrad. Réfléchir sur la notion d'intérêt général est un point fondamental.
    En complément à ce qu'avance L. de BRIEY, je citerai en particulier Benjamin Constant qui dans ses "Principes politiques" réfute la thèse du contrat social de Rousseau selon laquelle "chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous".
    Contrairement à Rousseau Benjamin Constant, avance pourt sa part que "L'action qui se fait au nom de tous étant nécessairement de gré ou de force à la disposition d'un seul ou de quelques-uns, il arrive qu'en se donnant à tous, il n'est pas vrai qu'on ne se donne à personne ; on se donne au contraire à ceux qui agissent au nom de tous."

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette citation. Il est vrai que le propos de Constant le dit avec plus d'efficacité. A se demander pour quoi Laurent de Briey ne le cite pas. Il est vrai que seul "De la liberté des Modernes" est cité dans sa bibliographie.

    RépondreSupprimer