Vendredi dernier, le Parti Socialiste Européen a débuté sa campagne européenne par un grand meeting à Toulouse. Toute la famille socialiste, sociale-démocrate, sociale-on-ne-sait-plus-trop était là avec des représentants des 27 pays de l'Europe. Il est bien difficile d'avoir au moins une retranscription des discours tenus, le PS n'ayant mis sur son site que les discours de Martine Aubry et du président du PSE, le danois Poul Rasmussen [correction postérieure, le PS a enfin mis tout le discours en cause en ligne].
Cependant, c'est le discours du président du groupe PSE au parlement européen, l'allemand Martin Schulz, qui a retenu l'attention du journaliste d'Europe 1 et donc celle de votre serviteur. Le membre du SPD, dans un français presque parfait, s'en prenait à François Bayrou au nom du vote utile (enfin, c'est l'interprétation du journaliste). Ce représentant d'outre-Rhin expliquait que le président du Mouvement Démocrate parlait « à la maison comme Karl Marx en exil, mais au parlement européen ils sont les sauvages néo-libéraux ». [il s'agit en fait d'une réponse à une phrase de Graham Watson, chef du groupe ADLE qui affirmait que la voix de Martin Schulz était celle du passé...]
Au-delà de l'outrance, habituelle dans ce type de meeting, il est intéressant de remarquer que cette simple phrase concentre tous les poncifs anti-Bayrou mais aussi toute la duplicité des socialistes.
Tout d'abord, il y a l'accusation de l'imposture, l'idée que Bayrou serait un affreux homme de droite « néo-libéral » qui emploierait un discours franchement à gauche à des fins électorales. Curieusement, ce genre de critique, parfois contradictoire, se retrouve sous la plume de nos anciens compagnons de route du Nouveau Centre. Bayrou aurait glissé à gauche, alors qu'en fait, c'est un homme de droite ... Le fait que Bayrou soit de droite n'est jamais expliqué clairement, surtout pour un homme qui incarne le centre depuis près de vingt ans... et on attend toujours la preuve que le Mouvement Démocrate s'allie avec la gauche... ce n'est pas faute d'avoir affirmé depuis très longtemps que ce nouveau parti ne s'alignerait pas sur le PS... mais la moindre évocation d'un dialogue possible fait frétiller les contempteurs de toute sorte. On retrouve la même cécité dans l'allusion à Karl Marx. C'est un des problèmes de la gauche française : tout discours social est nécessairement ordonné par la référence marxiste, en dehors d'elle point de salut. Ils oublient (volontairement sans doute) toute la tradition sociale-chrétienne dont la première référence date des prises de position de Mgr Ketteler, évêque de Mayence, en 1848... et oui, il n'y a pas eu que le manifeste d'Engels et Marx cette année-là. Mais cet oubli est bien commode, il permet de prolonger la présentation simpliste et binaire : d'un côté les sociaux-marxistes gentils, de l'autre les libéraux-conservateurs méchants. Tout moyen terme ne peut être que synonyme de duplicité. Or, l'inspiration sociale-chrétienne contenue dans le projet humaniste (même s'il ne se réduit pas à cela) donne sa cohérence au projet bayrouïste entre solidarité et préservation des énergies entrepreunariales. Il n'y a pas qu'un discours social, il y en a deux... et ce n'est pas parce que l'on puise son inspiration dans les principes de la démocratie-chrétienne que l'on se situe à droite ( mais c'est le genre d'équation facile qui a la vie dure en France... y compris au Nouveau Centre... une nouveauté sur laquelle on reviendra dans un prochain billet). Ainsi, à l'imposture politique supposée de François Bayrou, on peut répondre par l'imposture intellectuelle de ses détracteurs...
La suite de la déclaration de M. Shulz mérite également qu'on s'y attarde. « Les sauvages néo-libéraux », voilà l'ennemi... La crise lui donne raison... Applaudissements nourris dans la salle. Qui est visé ? L'EDLR, le parti européen des démocrates, libéraux et réformateurs qui siège avec le Parti Démocrate européen auquel appartient le MoDem au sein du groupe ADLE. Curieusement, les partis inscrits à l'EDLR sont plutôt considérés comme modérés et ils revendiquent plutôt l'étiquette de libéraux-démocrates. Mais bon, néo-libéraux, ça fait mieux, cela évoque les néo-conservateurs... on ne sait pas très bien ce que c'est, mais cela fait peur... toujours bon pour un meeting. Et puis libéraux tout court, c'est gênant, une bonne partie des adhérents du PSE étant des partis libéraux de gauche... Donc, il s'agirait de néo-libéraux.
Revue d'effectifs. Pour la France, on y retrouve le petit groupe de députés autour de Jean-Marie Cavada et le Parti radical de Gauche... De dangereux « néo-libéraux », alliés en France avec le PS... En Italie, on retrouve les radicaux et l'Italie des valeurs, le mouvement du juge de « Manu Polite », Antonio di Pietro, allié au Partito Democratico dont un représentant était présent à ce fameux meeting (Pietro Fassino, on y reviendra). En Angleterre, il s'agit des Libdems... et pas des successeurs de Margaret Thatcher du Parti conservateur... En Allemagne, le FDP, des libéraux certes, mais ce n'est pas la CSU bavaroise... On pourrait continuer longtemps l'énumération... L'attaque était grossière, mais tout ce qui est excessif est décidément insignifiant. Les libéraux démocrates ne sont pas les libéraux conservateurs qui siègent pour une bonne part au PPE... Et oui, le PDL de Berlusconi, le PP espagnol, les conservateurs britanniques, l'UMP... tous ces partis siègent dans le groupe PPE avec qui le PSE passe des accords techniques pour contrôler le Parlement Européen et se partager la présidence au cours de la mandature... Alors qui fricotte avec les plus néo-libéraux ? Sans doute pas le PDE. Le bon vieux problème de la poutre et de la paille...
On peut encore pousser l'analyse. Lors de son septième congrès à Porto, le PSE a modifié sa charte pour accueillir les partis d'inspiration « socialiste, progressiste et démocrate ». Quel est le problème ? Le Parti Démocrate italien réunit en son sein les anciens ex-communistes des démocrates de gauche et les démocrates-chrétiens réformistes de la Marguerite. Les premiers siégeaient avec le PSE, les seconds avec le PDE (ils en sont les co-fondateurs). Officiellement, le PD n'appartient à aucun parti européen, même si M. Fassino plaide pour un grand groupe socialistes et démocrates. Une manière d'exporter à l'échelle européenne les problèmes créés par ce type de rapprochement, comme le cas italien l'atteste (lire l'analyse très intéressante de skeptikos ). Surtout, on se demande la cohérence de l'ensemble, quand, au cours de la même réunion, Martine Aubry affirme chercher des alliances à gauche... une sorte de gauche plurielle à l'européenne. Outre le caractère profondément artificiel qu'il y a à réunir des nostalgiques du communisme et des sociaux-libéraux, on comprend que les attaques cachent mal l'impasse du PSE, coincé entre son extrême-gauche et le centre. Les stratégies en Europe sont trop diverses pour qu'il puisse tenir une ligne cohérente, alors autant taper sur les centristes... personne ne nous en voudra.
La tartufferie et la duplicité ne sont pas démocrates... la confusion est bien socialiste...
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