vendredi 17 avril 2009

Décès de René Monory : une leçon de centrisme

L'ancien président du Sénat (1992-1998), René Monory est mort samedi dernier. La toile regorge déjà de nécrologies flatteuses et précises pour celui qui était une figure du centrisme en France. Ce billet n'a donc pas pour objectif d'en rajouter une autre, moins bonne.

En revanche, son décès donne l'occasion de se replonger dans son court ouvrage Des clés pour le futur paru en 1995 aux Editions du Futuroscope. Au-delà des poncifs de la communication politique, il est tout à fait remarquable de noter que ces « clés » s'ouvrent par une évocation du développement chinois et du basculement à venir de l'économie mondiale vers l'Asie. Il ne s'agit pas de faire rétrospectivement de René Monory un prophète ou un visionnaire. Mais, on peut saluer sa hauteur de vue :

« Si loin que porte ma vue, par la fenêtre de cet hôtel à tant d'étages, la ville s'étend, sans fin. Les gratte-ciel alternent avec d'étranges entrepôts aux murs sales et gris. Le ciel est chargé d'un brouillard dense. Ce ne sont pas les nuages mais l'excès de pollution. Parcourir ces rues en voiture relève de l'exploit. Et pourtant, comme des rivières houleuses, les avenues charrient mille et un véhicules bigarrés, des piétons encombrés de ballots incroyables et tout ce que la vie, qui jamais ne quitta ce port symbolique, peut imaginer de roulant, cahotant, traversant. Tel est ce mythe éternel, carrefour des carrefours, porte de la mer de Chine, vantail ouvert aux eaux du Sud : Shangai. » (1)

Pour ceux qui estiment que les centristes n'ont découvert les problématiques environnementales qu'en 2007, les pages suivantes apportent un cinglant démenti :

« Jean-Pierre Fourcade, président de la Commission des affaires sociales du sénat, interroge [le président de la Commission des affaires économiques et financières de l'Assemblée Nationale populaire de Chine] à brûle-pourpoint : « Mais quels sont au juste les besoins de la Chine en énergie ? » Liu Shiunian marque un temps d'arrêt : « 15 000 mégawatts de plus chaque année. Mais nous pouvons extraire chaque année 1,2 milliard de tonnes de charbon, et ainsi satisfaire nos besoins avec l'apport du nucléaire. » Un chiffre à donner le tournis, derrière lequel se profilent des chaînes de montagnes noires, des millions de mètres cubes de gaz délétères : une pollution supérieure à celle que produisent l'ensemble des industries américaines !

J'ai soudain l'impression de voir se déchirer un peu plus la couche d'ozone. Pendant qu'en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande, des centaines de chercheurs l'auscultent fébrilement, en observant les moindres mouvements, en Asie, chaque jour, on lui porte des coups fatals. La réglementation de l'usage des aérosols de chloroflurocarbone (CFC) fait figure d'avancée importante dans la protection de notre environnement ; elle est en réalité bien faible au regard de cette pollution au quotidien ! On estime qu'en 2010, la Chine consommera plus de pétrole que les Etéats-Unis. Combien de temps pourrons-nous voir se développer ce risque ? Pour les générations à venir, n'est-ce pas le véritable enjeu ? Un jour très proche, parce que l'urgence est là, il faudra bien trouver le moyen d'un développement propre et convaincre tous les pays qu'il ne s'obtient pas à n'importe quel prix ». (2)

Certes, le réchauffement planétaire a supplanté les craintes relatives à la couche d'ozone, le développement durable n'est pas explicitement évoqué en tant que tel (l'idée par contre est bien là), mais ces propos ont conservé quatorze ans après toute leur actualité.

Ironie du sort, l'éviction de René Monory par Christian Poncelet orchestrée par la droite et les gaullistes (trop contents de voir disparaître la bastion centriste du plateau) eut pour prétexte l'âge du créateur du Futuroscope. Il est vrai qu'avec cinq ans de moins et soixante-dix printemps, Christian Poncelet incarnait le renouveau... Preuve s'il en était besoin qu'on a les prétextes que l'on peut.

Les Clés s'achèvent par une profession de foi humaniste qu'aucun militant démocrate ne pourrait renier :

« Nous pouvons faire naître de nouvelles espérances pourvu que nous acceptions d'ouvrir les yeux et sachions mesurer les immenses possibilités qui s'offrent. Cette société qui s'ouvre est d'abord faite pour l'homme. C'est nous qui en posons les fondations, et nous pouvons la faire avec lui... ou contre lui ». (3)

Cette relecture prouve l'inanité des procès en imposture faits par certains hommes politiques à l'encontre du Mouvement Démocrate... Il n'y a pas de solution de continuité entre les (anciens) principes directeurs du Centre et ceux de notre parti.

Quant à ceux qui ne jurent que par la vassalisation du Centre par la droite, je les laisse méditer la dernière phrase d'un article de Jean-Baptiste de Montvalon paru dans Le Monde en 1998 lors de la défaite de René Monory :

« Lui qui se vante de n'avoir jamais perdu une élection n'a pas vu venir cet ennemi-là, principal allié, jamais nommé à visage découvert, de ses hypocrites adversaires. »

Décidément l'indépendance et l'humanisme font bel et bien partie de l'héritage de notre famille politique.


Toutes les citations sont tirés de l'ouvrage de René Monory, Des Clés pour le futur paru en 1995 aux éditions du Futuroscope. Respectivement (1) p.11, (2) pp.17-18, (3) p.154.



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