Observer les stratégies du Mouvement Démocrate après la déroute avait quelque chose de fascinant. Déni des réalités, amnésie sélective et recherche du bouc émissaire. De remise en cause réelle et profonde, il n'y en aura point comme après les européennes. François Bayrou ne s'est pas honoré par sa déclaration sur la vérité qui demeure même si elle est minoritaire. Quand on est démocrate, il faut entendre ce que disent les urnes et saisir la nuance entre la minorité et l'insignifiance...
Première conséquence de ces élections : Corinne Lepage a officiellement démissionné et quitté le Mouvement. La curée a été immédiate puisque pas moins de trois vice-présidents (Jean-Marie Vanlerenberghe, Jacqueline Gourault et ce très cher JLB trop content de s'arroger le monopole du discours écologiste du MoDem) se fendaient de déclarations diverses pour dénoncer la félonie de la présidente de CAP21, tout juste venue au MoDem pour récupérer un siège. Il y a quelque chose d'indigne dans ce traitement. En Italie, l'UDC a dû faire face au départ de son chef de file aux européennes, Magdi Cristiano Allam, quelques mois avant les prochaines régionales. La déclaration de Pier Ferdinando Casini avait autrement plus d'élégance.
Au MoDem, pour un départ de cette importance, on a diligenté des porte-flingues faire le sale boulot, porter le discrédit sur une figure qui a incarné le parti et la traîner dans la boue. Dans ce mouvement aussi centré sur la personne de son président (omniprésent durant la campagne alors qu'il n'était pas candidat), François Bayrou est resté silencieux. Je l'ai connu plus modéré et plus soucieux de préserver l'avenir. Il ne s'agit pas, ici, de faire de la démissionnaire une colombe vertueuse. La création de Terre Démocrate, selon le même chemin qui a conduit à la formation de CAP21, indiquait clairement quelle était son optique. Corinne Lepage a sans doute trop attendu pour clarifier les choses, ce qui n'a pas peu contribué à donner une mauvaise image de sa formation tantôt candidate avec Europe Écologie, tantôt avec le MoDem lorsque l'alternative n'était pas possible. Cependant, les dissensions avec CAP21 ne sont pas neuves. Dès son congrès de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre un terme au partenariat. C'est Corinne Lepage qui a maintenu l'unité, alors qu'elle aurait très bien pu obtenir une place éligible chez Cohn-Bendit. Il n'y a pas donc pas que du calcul bassement politicien dans le comportement de l'ancienne ministre.
Deuxième conséquence. Ce départ ouvre une nouvelle piste de réflexion : à quoi la création du MoDem a-t-elle bien pu servir ? Initialement, l'UDF avait été jugée trop à droite (en oubliant un peu rapidement le congrès de Lyon), trop marquée par son histoire pour accueillir efficacement les nouveaux militants. Sans CAP21, que reste-t-il des nouveaux venus si ce n'est quelques anciens cadres verts en rupture de ban ? Fallait-il faire un nouveau parti pour cela ? Surtout quand on voit leurs résultats.
En effet, le déni devant certaines réalités interroge la lucidité de ceux qui appartiennent au Mouvement. Quelle région a enregistré pour la deuxième fois consécutive le plus faible score métropolitain du MoDem ? Provence-Alpes-Côte d'Azur. Lors des Européennes, Jean-Luc Bennahmias ne faisait dans la région sud-est que 7,5 %, 6 % dans les Bouches-du-Rhône, signe de l'excellence de son implantation. Son amie (et ancienne verte qui n'a rejoint le MoDem que pour les élections municipales de 2008) Catherine Levraud a réalisé 2,5 % le 14 mars. On pourrait ajouter le cas de Yann Werlhing qui réussi un tour de force en ne faisant que 4 % dans la région la plus centriste et la plus écologiste de France (pour un écologiste dans un parti « centriste », rien que de très normal). Or, personne n'a soulevé la nullité des scores des membres d'Écologie et Démocratie. C'est à peine si on a remarqué que les « meilleurs » scores (Bretagne, Basse-Normandie, Aquitaine) avaient été réalisés par d'anciens UDF dans des secteurs où l'électorat centriste traditionnel était plus fort. La réciproque s'avérait pourtant évidente.
Le cas de PACA mérite que l'on s'y attarde. Si on étudie les déclarations post-déroute (dans la Provence du 15 mars 2010), on est confondu devant la langue de bois employée (est-ce cela faire de la politiquement autrement ?) :
« Je n'ai eu que deux mois pour me faire connaître, ce qui est difficile quand on est un parti jeune et qu'on a pas assez de réseau. Il faut du temps et nous en avons manqué ». (Catherine Levraud)
La candidate explique que son manque de notoriété est en cause. Cela aurait du sens si son score dans la ville où elle a été conseillère municipale de 2001 à 2008 et candidate à la mairie en 2008 n'était pas aussi faible : 2 %. De même la jeunesse du parti a de quoi faire sourire. Il ne serait pas aussi jeune dans les Bouches-du-Rhône, si certains ne s'étaient pas évertués à détruire tout ce qui existait pour prendre le contrôle de la fédération. En outre, l'argument ne tient pas : l'AEI ou la Ligue du Sud qui sont encore plus jeunes ont fait aussi bien. Enfin, où est la cohérence à invoquer la brièveté de la campagne lorsque JLB ne cesse de ressasser que la décision se fera dans les trois dernières semaines (cf. Lettre du Démocrate n°23 : « Il reste trois semaines de campagne, les électeurs n'ont pas encore fait leur choix, à nous d'être performants ») ?
« Ce fut tout de même une belle campagne » (Christophe Madrolle)
Y aurait-il une faille dans le raisonnement ? Si tout devait se faire dans les trois dernières semaines et que le MoDem a fait une belle campagne, comment expliquer ce résultat désastreux dans une région dirigée par un UDF jusqu'en 1995 ? Je n'ai suivi que de loin la campagne MoDem, mais à Marignane (le MoDem avait fait 6 % lors des dernières municipales avec de tous petits moyens), elle s'est limitée à un seul tractage sur un marché par quatre personnes (la candidate marignanaise, sa fille et deux autres personnes). Il a fallu attendre le jeudi précédent le scrutin pour que les panneaux électoraux arborent les affiches oranges. Si on ajoute à cela la lumineuse idée de faire un pique-nique à Marseille début mars (il faisait froid et il pleuvait ce jour-là), on peut en effet parler d'une "belle" campagne... On lit souvent dans la blogosphère MoDem des propos très rudes à l'encontre des anciens UDF. Force est de constater que les anciens Verts ne font guère mieux, sinon pire.
Enfin, troisième conséquence : le retour du centre. L'amnésie sélective a trouvé un porte-parole : Robert Rochefort. L'homme m'est sympathique et j'ai souvent trouvé son discours intelligent. Mais sa tribune dans le Monde laisse par moment songeur. A-t-il oublié ce qui s'est passé depuis 2007 ? Comment peut-on écrire comme si de rien n'était « Eh bien nous sommes au centre, et nous y restons. » L'article de François Bayrou expliquait déjà en 2007 que le mot même de centre « consacre en même temps d'une certaine manière la prééminence de cette logique droite-gauche » [Commentaire n°119, p.721] avec laquelle il voulait rompre [voir le commentaire de Thierry P. qui cite le discours de Villepinte]. Durant toute la période où j'ai été militant actif du MoDem, on m'a expliqué (notamment JLB) que le centre, c'était fini. Que le Mouvement était alternatif, que le centre, c'était la droite. Que le MoDem dépassait les clivages en étant simplement démocrate. Dans la presse, les mêmes ont affirmé que les seuls partenaires du parti orange était à gauche. Soudainement Robert Rochefort redécouvre le goût du PS pour « l'accroissement de la fiscalité et le centralisme étatique ». N'a-t-il pas entendu le discours de Marielle à Marseille ? Ou plutôt, serait-ce que la vice-présidente du MoDem aurait mesuré l'étendue de son erreur estivale ?
Cette palinodie semble, en effet, avoir été décidée en haut lieu puisque Marielle de Sarnez elle-même dans un texte publié le 24 mars affirme la nécessité d'un « centre authentique ». Après avoir refusé le terme de centre, parler d'arc central, de centre progressiste, de centre humaniste, voilà le centre authentique. Après tout, de mon point de vue, cela dénote une évolution dans le bon sens, mais cette prise de conscience apparaît bien tardive. Il en a fallu du temps pour comprendre que « l’alliance rouge/rose/verte s’est reconstituée ». Cela en dit long sur le pertinence du rassemblement de Peillon que certains soutiennent encore (plus pour longtemps ?).
Les électeurs provenant de la gauche sont partis depuis 2007, CAP 21 n'est plus que virtuellement une structure associée, en dehors de Bennahmias, le MoDem n'a rien apporté de neuf par rapport à l'UDF, au contraire, la cohérence doctrinale de l'ensemble a reculé et l'image est devenue calamiteuse au fil des revirements, des défaites . S'il est, maintenant, au centre, ce n'est pas l'invocation systématique et creuse à un prétendu humanisme qui pourra lui donner un contenu valide, surtout dans un contexte d'atomisation de cette famille politique qui s'est globalement traduit par sa disparition électorale.
Le MoDem est, peut-être, au Centre, faute de mieux, mais le Centre a, pour l'instant, disparu.