Rapprocher la gauche non-communiste du centre démocrate-chrétien ne constitue pas une innovation... n'en déplaise aux promoteurs du rassemblement (fourre-tout) écolo-socialo-démocrate. Ici comme ailleurs, le présentisme fait des ravages, associé à une sorte de téléologie nous expliquant que c'est le sens de l'histoire et que les difficultés ne surgissent qu'à cause de la profonde nouveauté (je n'ose écrire modernité...) de cette synthèse, nécessaire aux bouleversements du temps présent.
L'histoire ne délivre pas de lois, ni de théorèmes, mais elle permet de modérer les enthousiasmes face à une époque qui a toujours l'impression de recréer le monde ou d'être face à des problèmes jamais croisés les siècles passés. Aussi, il me semble que l'échec de la grande fédération socialiste et démocrate de 1965 apporte quelques éclairages sur la stratégie promue par les Peillon et Sarnez et autre Cohn-Bendit. Pour ce faire, j'utilise l'article de Joan Taris « L'échec de la grande fédération démocrate et socialiste » tiré de l'ouvrage « Le centrisme en France aux XIXe et XXe siècles : un échec ? » dirigé par Sylvie Guillaume.
Alliance électorale a minima...
Ne tombons dans la facilité de l'anachronisme en posant clairement le contexte. Les mouvements concernés par ce projet en 1965 étaient la SFIO (socialiste), le MRP (clairement démocrate-chrétien), le parti radical et l'Union démocratique et socialiste de la résistance. Le rapprochement avait un sens électoral à plus d'un titre. Ces partis avaient participé aux gouvernement de Troisième Force sous la quatrième république et connaissaient des difficultés sous la cinquième naissante. Les accords électoraux locaux ont précédé les discussions entre appareils puisque des « ententes centristes » avait recueilli près de 35 % des voix lors des municipales de mars 1965 et qu'un intergroupe centriste associant socialistes, indépendants, MRP et radicaux voit le jour au Sénat.
Outre la machinerie électorale, ce rassemblement s'appuyait sur un socle de valeurs communes, ou plutôt d'oppositions communes (sic) tant envers le gaullisme que le communisme :
institutionnellement par leur goût du parlementarisme et leur confiance dans le rôle des corps intermédiaires
leur soutien à la construction européenne
le réformisme économique et social
La SFIO abandonnant l'orthodoxie marxiste pour une sorte de travaillisme à la française, la convergence semblait possible d'autant qu'il s'agissait alors de s'adapter aux mutations de la société française des Trente glorieuses. Stratégiquement, en pleine Kennedymania, Jean Lecanuet proposait ouvertement un grand « parti démocrate à l'américaine » (interdit de rire) qui s'ouvrirait aux forces vives de la nation (la société civile n'était pas encore à la mode).
Grand machin et réalités politiques
Ce projet tourne court dès juin 1965. Joan Taris détermine trois raisons majeures. Tout d'abord, les élections majeures dans la Ve république (législatives et présidentielles) sont de fait bipolarisantes. Les deux principaux partis du rassemblement (SFIO et MRP) appartenaient à des cultures politiques inconciliables, notamment, à l'époque, sur la question scolaire et sur l'adversaire prioritaire (les communistes ou les gaullistes). Enfin sur le vocabulaire, le nom du rassemblement posait problème. La réponse de Lecanuet à l'exigence de Guy Mollet de conserver le nom socialiste est pour le moins éclairante : « si vous me demandez de me transformer en socialiste, d'entrer dans une fédération socialiste, d'être demain candidat sous un drapeau socialiste avec un programme d'essence socialiste, alors ne nous mentons pas les uns les autres. C'est totalement exclu et impossible. »
En fait derrière cet échec, il y a les difficultés à concilier un parti de masse et un parti de cadres (ce que le PS comme le MoDem ne sont plus) et la proximité des élections présidentielles (décembre 1965) a achevé de tendre les relations entre les différents leaders qui ne comptaient pas jeter un mouchoir sur leurs ambitions personnelles.
Qu'en retirer ?
Faire des comparaisons s'avèrent toujours périlleux. Cependant, les grandes idéologies, les grands systèmes de pensée ont régressé. Ils ne sont plus totalement recteurs des positionnements politiques. Le flou idéologique et intellectuel assez largement partagé sur l'ensemble de l'échiquier politique permet bien des acrobaties. Parmi les partis de gouvernement, les clivages dépassent rarement la posture ou le dosage dans telle ou telle évolution jugée inexorable. Il y a sans doute ici la justification d'un certain snobisme de la part des extrêmes ou des libéraux. Même s'ils sont contestables, ils manient un corpus d'idées qui peut faire système.
En cela, le rassemblement peillonesque est symptomatique : un peu d'écologie verdâtre, un peu de social rougeâtre, un peu de démocratie orangée, mélangez bien, et vous aurez une belle ratatouille politique. L'humanisme du MoDem (la publication du projet humaniste ne me fait pas varier de ce que j'ai écrit en novembre dernier, notamment sur l'abandon absurde de la référence démocrate-chrétienne), comme la sociale-démocratie (qui s'accommode très bien d'une alliance avec un parti communiste) au PS (si tant est qu'elle existe au delà des slogans) peuvent se rapprocher... on peut mélanger à l'envie de l'eau tiède... En revanche, en matière de luttes de leadership, il me semble que 2010 n'a rien à envier à 1965. Ce n'est pas pour rien que l'intégration strictement politique s'avère nettement moindre aujourd'hui qu'alors...
En abandonnant à demi-mots sa stratégie d'indépendance, le Mouvement démocrate risque de perdre sur tous les tableaux. Ses gages de compatibilité programmatique peuvent lui faire perdre son électorat traditionnel sans lui apporter le moindre secours de la gauche qui s'accomode très bien, et depuis bien longtemps, d'un système bipolaire.
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