vendredi 28 mai 2010

Euro 2016 : des coûts mais quels gains ?

La France vient d'obtenir l'organisation de l'Euro de football en 2016... mais, finalement, cela est presque accessoire. Ce n'est pas ce résultat qui m'a interpellé, mais le raisonnement (si ce n'est pas un bien trop grand mot en l'occurrence) tenu par un journaliste d'Europe 1 ce matin.

À partir de la huitième minute, on nous explique qu'organiser cette compétition est nécessaire car elle va permettre de construire quatre stades et d'en rénover sept pour la modique somme de 1,7 milliards d'euros (connaissant les habitudes françaises, je suppose que ce chiffre constitue un minimum). On pourrait gloser à l'infini sur le rapport coût/gains, sur l'opportunité de telles dépenses que d'aucuns pourraient juger somptuaires en période de crise, sur la faiblesse des retombées générées par de tels événements, sur le bénéfice très discutable retiré par les collectivités territoriales.

En ces temps de relativisme, cela ferait long feu. Ce qui m'a chatouillé les oreilles réside dans la fin de l'argumentation : il faut investir dans les stades car l'endettement des clubs français dépassent les cent millions d'euros. La construction de nouvelles infrastructures est nécessaire pour produire de nouvelles ressources et permettre aux clubs impécunieux de survivre ou, du moins, de ne pas se serrer la ceinture. Or, pour moitié, les dépenses des clubs proviennent de leur masse salariale. Ce n'est pas que j'aimerais ressusciter un vieux troll sur la pertinence de salaires très élevés dans le football professionnel de haut niveau, mais tout de même... D'un strict point de vue pragmatique (je dirais même matérialiste), c'est une activité qui, semble-t-il, n'est pas rentable, ni même à l'équilibre. Pour ce journaliste, il était évident que la collectivité (vu leur endettement, ce ne sont pas les clubs qui vont mettre la main à la poche... elle est déjà percée), devait très largement investir dans un moment inopportun... in fine pour combler les trous creusés par une politique salariale démentielle...

Les entreprises de BTP et les fans de football doivent être contents. Pour le reste...


PS : je sais que le dernier lien relève presque de la mauvaise foi, mais finalement, n'est-ce pas le salaire en question qui est caricatural ?

vendredi 14 mai 2010

À la recherche de « l'oiseau rare » du Centre

On attend toujours l'ouvrage de Jean-Louis Bourlanges (La tragédie du Centre qui devait paraître chez Plon à l'automne dernier), mais l'ancien député européen distille de temps à autre quelques analyses, souvent stimulantes.

Comme je l'ai fait remarquer à Bob, je regrette le titre donné à cette entrevue : Bayrou n'est qu'un élément parmi tant d'autres...

Pour ma part je retiens surtout la réaffirmation d'un credo centriste articulé autour d'un fédéralisme européen rénové (de quoi faire un autre billet) et la volonté de réformer la France. Il est tout de même malheureux que dans ses quatre pages consacrées à l'Europe, le projet humaniste tourne autour du pot, évoque les symboles, un Fonds Monétaire Européen, un Président de l'Union élu, mais, en bon bol d'eau tiède politique, refuse de parler ouvertement d'Europe fédérale.

Pour ce qui est du cancan centripète, la critique est cinglante à l'égard des trois figures de proue de cette famille politique de Bayrou à Borloo en passant par Morin... Sans doute lucide, mais guère porteur d'espérance...

samedi 8 mai 2010

Demos et Kratos en Europe – Revue de Commentaire

La crise grecque, ou plutôt la crise de la zone euro, fait apparaître sous un jour nouveau la faiblesse de l'intégration européenne, son caractère profondément bancal. Jean Arthuis (parmi d'autres) l'a reconnu en réclamant « un bond qualitatif politique en matière de coordination et d'autorité ». Ce communiqué de presse entre en résonance avec l'article de Tommaso Padoa-Schioppa « Demos et Kratos en Europe » paru dans le numéro 129 de la revue Commentaire (pp.99-107). L'ancien ministre de l'Économie et des Finances italien se livre à une analyse intéressante du projet européen, de ses finalités et de ses faiblesses actuelles (1).

La critique lancinante à l'encontre de la construction européenne se base, pour l'essentiel, sur son manque de démocratie. Pour ses détracteurs, seuls les États-nations peuvent être les dépositaires de la souveraineté d'un demos nécessairement national. En partant de ce postulat, l'auteur tente de revenir à la racine de ce qui fonde les gouvernements.

Selon lui, les limites authentiques d'un État sont rationnelles :

« Un gouvernement est nécessaire lorsque des besoins, des buts, des exigences communes à plusieurs personnes peuvent être atteints uniquement à travers des décisions, des actions et des ressources elles aussi communes ».

Or, les besoins des Européens excèdent les capacités de leurs gouvernements nationaux, qui demeurent pourtant les détenteurs principaux du pouvoir. Les dernières crises nous en donnent une illustration éclatante.

Dans le même temps, il oppose deux conceptions du demos : le demos-de-la-raison qui procède de sa vision de l'État et celle romantique, du demos-du-cœur. Sa préférence va à la première, car in-fine, la seconde revient à estimer que seule l'anarchie serait appropriée pour définir « les rapports entre des êtres humains qui ne sont unis par aucun lien affectif ou seulement culturel ou coutumier ». Il aboutit donc à l'idée d'un gouvernement décliné au pluriel le « long d'une échelle verticale de l'inclusion des cercles de plus en plus amples d'êtres humains auxquels chacun d'entre nous appartient ».

Son analyse du pouvoir (kratos) le conduit à pointer une tension fondamentale : « les gouvernants doivent être choisis par les gouvernés, mais ils doivent ensuite gouverner ceux qui les ont choisis ». Si le second syntagme pointe le degré nécessaire d'autonomie du gouvernant par rapport aux gouvernés, le premier invite à se pencher sur la thématique de l'intérêt général. Tommaso Padoa-Schioppa, en partant du principe que les biens publics appartiennent au Demos, l'intérêt général est assimilé à un intérêt particulier de tous et non pas l'intérêt d'un tiers qu'il soit l'État, la patrie ou la nation. Ainsi, l'achèvement de la démocratie consisterait en un gouvernement « choisi librement par son Demos et (...) doté du Kratos nécessaire pour gouverner la res publica. »

Dans la dernière partie de l'article, il confronte sa théorie à la situation européenne qu'il juge foncièrement contradictoire : « L'Europe a des missions possibles, mais on lui refuse le Kratos ; les États ont du Kratos, mais les missions qui leur sont attribuées sont en partie impossibles ». Pourtant, le demos-de-la-raison existe de fait, la res publica européenne s'est élargie bien au-delà de la seule paix et les différents textes qui charpentent l'Union énumèrent les biens collectifs : « sécurité, droits humains, liberté de circulation des biens et des personnes, protection de l'environnement, stabilité et solidarité économique »... La Constitution européenne définit une démocratie parlementaire, du moins, si on envisage les institutions supra-nationales, qui souffrent cependant d'un manque de pouvoir « d'une capacité à décider et des moyens pour mettre en œuvre les décisions ». Plus que tout autre chose, ce défaut explique que le demos-de-la-raison européen ne se reconnaisse pas encore comme un demos -du-cœur. Cette carence revient essentiellement selon l'auteur au Conseil de l'Union, institution intergouvernementale où s'applique souvent la règle de l'unanimité. Il n'est pas un « organe collégial » mais « une table de négociation sur le mode classique des relations internationales ». Conclusion : « l'Europe est inachevée et pour cela, aussi pour cela, nos démocraties sont malades ».

J'interprète la fin de cet article (pp.106-107) comme un appel à un nouveau fédéralisme européen. La nécessité rationnelle de l'intégration communautaire est établie, l'expérience historique des siècles passés ont montré que les demos-de-cœur s'avérait postérieur au gouvernement politique et au demos-de-la-raison, même si la réalité des populations européennes prouve déjà leur très grande proximité. Il n'empêche « l'existence d'un Demos-du-cœur est une chose, la conscience de celui-ci en est une autre, et la capacité à transformer cette conscience en action politique encore une autre. » Le réveil des nations s'oriente vers la désagrégation (la Belgique n'en donne-t-elle pas à l'heure actuelle un exemple saisissant).

« La mémoire des horreurs des guerres du passé se dissout. Et l'Europe apparaît souvent à la génération Erasmus comme un bâtiment déjà construit et déjà habité pacifiquement, qui ne nécessiterait aucun travail d'achèvement ou d'entretien. Cette génération ignore souvent que l'Europe apparaissait de la même manière à ses arrière-grands-parents en 1914, avant que le coup de pistolet de Sarajevo ne les réveille brusquement. Pour cette génération le ressort doit être la passion civique, la passion de la démocratie achevée ».

Cette conclusion mériterait une analyse complète au même titre que le rapport entre état et société, mais il me semble que les huit pages de Tommaso Padoa-Schioppa ont le mérite de réaffirmer une vision fédérale, à l'heure où l'euro-scepticisme le dispute à l'euro-mollesse.


(1) Ce qui suit n'est, bien évidemment, que ma lecture tout à fait subjective de cet article.